Ah les westerns des 70’s ! C’est quand même étonnant de redécouvrir en tombant sur l’une des raretés éditées par la prolifique collection Western de légende de Sidonis Calysta à quel point l’époque avait la passion du désenchantement. Ce désenchantement, ce ton, cette humeur qui renouvellent les façons de voir et de faire, on les retrouve partout. Et finalement ça n’est pas tant une rupture qu’une forme de continuité qui apparaît à maints égards. En témoigne ce film qui nonobstant son titre (ou plutôt ses titres si on inclut l’épouvantable version française) apparaît comme une relecture mémorable de Red River. A ceci près que le film prend le parti, pour éviter un rapprochement trop direct qui lui eût été nécessairement défavorable, d’éviter la confrontation entre deux personnages dans une relation père-fils pour se concentrer sur toute la partie que Red River élude, à savoir le roman d’apprentissage du jeune Matthew Garth avant qu’il prenne les traits et la prestance de Monty Clift. The Culpepper Cattle Co. renvoie quasiment d’emblée à Red River avec la scène du départ des cow-boys menant leur troupeau vers les terres du Colorado. On y voit la même succession de plans courts montrant les visages tendus en attente du départ, agrémentés dans la séquence par toute une série de détails montrant les derniers préparatifs : un cheval qu’on ferre, des éperons qu’on ajuste, des foulards qu’on noue, etc. Comme dans Red River ce sont des "Yihaaaa !" euphoriques qui signalent la mise en mouvement et qui transforment la tension de l’avant départ en communion grisante. Une deuxième citation intervient plus tard avec l’incontournable scène de "stampede" qui démontre si besoin était que lorsqu’on a un troupeau de bêtes à cornes lancé à vive allure dans sa direction, mieux vaut déguerpir fissa. A partir de là ce sont les différences de traitement ou tout ce qui est éludé dans le western classique à la Red River qui deviennent le principal objet d’intérêt.
A commencer par la compagnie des cow-boys. Ici point de camaraderie virile ni même de rivalité franche et loyale. Les garçons vachers sont à peu près au niveau des animaux dont ils s’occupent : niveau mental, niveau moral, niveau d’hygiène... On est à mille lieues des veillées bucoliques et contemplatives de Hawks. Partager la vie d’abrutis au comportement imprévisible, inamicaux et puants ça fait déjà moins rêver ! Le héros, "version" réaliste du jeune Garth en péquenot imberbe avide d’aventure, s’y fait tout de même. Rebaptisé "la petite Marie", il sert de bonne à tout faire et notamment d’aide cuisinier. On découvre à l’occasion l’art culinaire du cru qui consiste à plonger dans un chaudron d’eau bouillante la nourriture à peine déplumée assaisonnée de ses propres entrailles. Il y a plein de notes comme ça qui relèvent de l’ethnologie en milieu abruti. Les scènes classiques (vol de bétail, règlement de comptes, etc.) sont revisitées (fort bien) suivant cet angle. Notre héros découvre la vie d’homme et la façon de se comporter dans cette compagnie qui possède finalement des règles assez faciles à comprendre (ne jamais se mettre dans le dos d’un homme dont on a ramassé le flingue par exemple). Le film abonde en magnifiques trognes qui rendent la démonstration particulièrement convaincante : les Bo Hopkins, les Matt Clark et autres Geoffrey Lewis, tous des spécialistes du registre, disposent ici de la latitude pour déployer leur savoir-faire. Délivrant quantité d’expressions faciales, de sentences mémorables et de jus de chique, ils composent une compagnie de cow-boys comme on en a rarement vu d’aussi convaincante.
On les suit avec le jeune péquenot joué par Gary Grimes, un candide qui apprend la distance qui sépare la réalité du rêve, personnage qui relaie le spectateur ou qui offre en tout cas une identification dans ce sens. Identification typique de ce cinéma des années 70 qui cherche à déconstruire mythes et imagos pour réaffirmer par la voie du réalisme une certaine ambiguïté consubstantielle au cinéma. L’ambiguïté joue évidemment sur la violence, montrée comme elle ne l’était pas dans la glorieuse époque du western classique, avec un côté jouissif mais aussi une dimension stupide et obscène. Cette opposition est parfaitement incarnée dans le personnage de Grimes et son attitude de fascination face aux armes et de répulsion face à la mort. Le final est assez malin pour garder, à la fois ténue et inconciliable, la distance qui sépare les deux et rendre l’expérience à la fable (ce qui prouve une fois de plus que réalisme et vraisemblance en matière de cinéma trouvent assez rapidement leurs limites). Le film se paye même le luxe d’une petite touche ironique (sorte de contre-pied narquois de Wagon Master) qui désamorce toute velléité de conclusion moralisatrice. Bref, avec un tel programme, difficile de faire mieux.