Un film d’auteur français, tiré d’un roman publié en 2000. Il reprend, en gros, ce que sera la thèse de Johann Chapoutot dans Libres d’obéir ; à savoir que le système administratif nazi contenait en germe les innovations technocratiques qui façonnèrent le monde néolibéral de la deuxième moitié du XXe siècle.
C’est un de ces films d’auteur « parfaits » de la fin des années 1990-début des années 2000, qui associent une épure des décors à la méticulosité d’une mise en scène sur plusieurs cadres, comme le fit par exemple Rivette dans Secret Défense, ou Suwa dans Un couple parfait. Le monde, l’environnement de travail, c’est-à-dire ce qui est censé être au centre de la réflexion du métrage, s’abstrait paradoxalement pour ne plus laisser que des psychologies se dessiner. Ces psychologies ne s’élaborent pas par le dialogue, qui est volontairement inhibé de toute capacité performative, mais par les gestes, les rencontres ou bien au contraire les évitements. En résulte ce fascinant montage comme sans cohérence, et qui pourtant attire inexorablement l’attention du spectateur, pour que celui-ci soit capté par l’ambiance froide et clinique renvoyée par le décorum entrepreneurial.
Mathieu Almaric, dans le rôle de Simon, le psychologue, sorte d’éminence grise, de chantre de la novlangue managériale auprès des instances dirigeantes de la compagnie pétrochimique qui l’emploie, était le choix idéal d’acteur ; tout comme Michael Lonsdale, vieux lion défraîchi, rouage défectueux dans la mécanique bien huilée de la firme (se lavant les mains frénétiquement, buvant verre après verre, horrifié par cette musique à laquelle il fut pourtant éveillé dès son plus jeune âge, etc.).
La Question humaine évoque magistralement les faux-semblants du monde du travail contemporain. La dichotomie, presque schizophrénie entre le jour, moment du travail codifié, théâtre moderne de la condition humaine, et la nuit, moment du secret, de l’amour jamais réalisé car toujours menacé par la routine quotidienne, des raves délirantes qui ramènent le cadre en col blanc à sa condition de chien supplicié, dormant au milieu de la pisse et des gitans.
Heureusement que l’assimilation entre le monde de l’entreprise et un certain événement traumatique du XXe siècle n’est qu’indirecte, dissonante, presque établie à reculons, à l’aveugle, à l’image de ces dernières secondes du film, effrayant palabre déclamée dans l’obscurité du pré-générique… Un grand film français du début des années 2000, sans doute possible.