Les feux des Médicis et l'éthique catholique

  • 𝐿𝑎 𝑅𝑒𝑖𝑛𝑒 𝑀𝑎𝑟𝑔𝑜𝑡 est un film bouleversant : grande Histoire, grands sentiments, grandes images, mais aussi intimité, romance interdites, saletés et tabous ; c'est une sorte de feuilleton haut de gamme que livre Patrice Chéreau, alias l'homme de théâtre favori des rares et meilleures profs de français des années 90-2000. Voilà du cinéma, voilà enfin une œuvre qui a du corps, qui a une personnalité, une chose à dire, et Dieu, qui la dit ! Le film ne se range pas parmi les mous, les tièdes, les froids ; loin de là : il ose, il crie, il hurle, il aime il saigne et il meurt. Tout est faste, les plans sont de grandes peintures aux puissants contrastes d'ombres et de lumières, les musiques sont simplement excellentes, les gestes, paroles et tous les jeux d'acteurs globalement sont habités par une puissante théâtralité expressive. Tout est grand. Peut-être trop au goût des faquins, sinon sentant certainement l’outrecuidance au nez des sans-goûts, mais du meilleur effet pour votre serviteur le Ravagoïde. Je désespérais franchement de retrouver ce type d’œuvre, ventrue, charnelle, virile dans le sens le plus noble du terme ... La Reine Margot est de ces films qui redonnent espoir dans le cinéma, un de ceux qui prouvent que dans l'océan d'excréments que cette industrie vomit, il existe encore des joyaux. Et pour parler franc, Isabelle Adjani n'est-elle pas une des plus belles femmes du monde ?
  • 𝐿𝑎 𝑅𝑒𝑖𝑛𝑒 𝑀𝑎𝑟𝑔𝑜𝑡 est un film surprenant. Jusque dans sa bande-son, dont je découvre après visionnage, et alors que je la survole hors film, qu'elle comporte des pistes en Serbo-croate ("U te sam se zaljubia"), langue du compositeur Goran Bregovic, rajoutant au concept de coproduction européenne une nouvelle lettre de noblesse que bien peu se targuent d'arborer ni même de connaître.
  • Incontestablement le film, c'est une de ses forces, s'assimile à un musée en mouvement, à une galerie de chefs d’œuvres picturaux. On peut le visionner le son coupé, et l'expérience garderait, et même gagnerait, une certaine saveur. Chaque composition est admirable, en intérieur, en extérieur, de nuit, en groupe, en plan rapproché, la lumière et les choix formels prit sont toujours du plus bel effet, touchants, souvent frappants. La composition des images sert une mise en scène fastueuse, riche, baroque. On pense aux peintures de la Renaissances, aux peintres flamands. Les lumières froides tranchant l'obscurité, les rayons de vive blancheur fendant la nuit, marquant des visages expressifs au possible que l'on admire soit transportés par la passion charnelle, ou inquiétés par une mort imminente.
  • Les acteurs sont tous notables, beaucoup sont excellents. Adjani, bien sûr, qui sert le personnage à merveille dans toute son évolution, de la folle et libertine princesse à l'héroïne sacrifiée assumant une humanité nouvelle à son cœur. Daniel Auteuil complètement halluciné, terrifié, mais fier et combattant, homme de la terre et du bon sens plongé dans ce panier de crabe qu'était déjà Paris, campe un sublime et héroïque Henri de Navarre. Virna Lisi en Catherine de Médicis est terrifiante, cruelle, mortellement froide. Le costume et maquillage fait penser aux méchantes du dernier film 𝐷𝑢𝑛𝑒, avec leurs grand fronts blanc tout dégarnies et leurs tenues noires, aussi sombres que celles des protestants que l'impérieuse matrone massacre. Pascal Greggory est excellent en prince ambitieux, méchant, vicieux, arriviste et joueur, maniéré et intriguant. D'ailleurs, l'opposition de costumes entre ternes huguenots et catholiques chatoyants toutes chemises ouvertes participe assez, caricaturalement certes, à la démarcation des camps. L'acteur jouant Charles IX nous présente une interprétation toute transpirante de l'instabilité émotionnelle, une vision fine et funeste de la folie.
  • Tous servent à merveille le scénario, tissé d'intrigue politique, politicienne, romantique et Historique. On assiste à un fastueux et original mélange des genre, entre fresque romanesque et feuilleton romantique, avec du sang ; beaucoup de sang. L'épisode historique explique en partie ce sang, l'affaire étant une des plus sanglante que notre pas connu.
  • Les faits historiques, véridiques dans la grande ligne, sont quelque peu romancés pour les besoins du spectacle. Ils sont présentés sous un angle encore plus tragique qu'ils ne le sont déjà. Un quelque chose de Shakespeare imprègne l’œuvre, tant et si bien que la Reine Margot semble s'inscrire dans l'ombre des personnages du dramaturge. Intrigue de cœur, vengeances et passions amoureuses, grandes familles concurrentes et affaires d'états, tout y est.
  • J'aimerai développer quelques lignes sur l'importance historique de l’événement, dont la suite a mené à la disparitions de tant de grands français, mais ce serait trop loin dériver de ce qui nous occupe ici, à savoir l’œuvre filmique. Aussi, je regrette d'avoir découvert trop tard le travail d'Hubertine Heijermans, que j'aurai copié sans vergogne pour l'illustration de ce texte.
  • 𝐿𝑎 𝑅𝑒𝑖𝑛𝑒 𝑀𝑎𝑟𝑔𝑜𝑡 est un film que je reverrai avec plaisir, et Patrice Chéreau est un cinéaste dont je ferai l'effort de survoler la filmographie et plus largement l’œuvre. Un film rare, un grand film.
  • illustration sur l’Instagram @LeRavagoide
Le-Ravageoide
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le 14 déc. 2023

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