(de nombreux éléments de ce texte sont issus des échanges entre le réalisateur et la salle suite à une projection du film au Louxor à Paris)
La rivière fait le protrait du gave d'Oloron, un affluent de l'Adour qui prend sa source dans les Pyrénées, entre Béarn et Pays Basque, et qui est lui même alimenté par de nombreux ruisseaux. Le réalisateur a voulu "forcer le spectateur à centrer le regard sur la rivière" (il explique par exemple avoir choisi le format carré pour cette raison). De ce point de vue, le film est très réussi. On comprend les multiples enjeux au centre duquel la rivière se trouve : cycle de l'eau (glaciers, nappes), irrigation, hydroélectricité, pollution (notamment agricole), migration des saumons... Un passage particulièrement fascinant présente les ortolithes, des pierres présentes dans la tête des poissons qui permettent de retracer leur parcours tout au long de la vie à partir d'une cartographie de la minéralogie des cours d'eau qu'ils ont fréquenté. J'ai également apprécié le parcours thématique plutôt que géographique, qui aurait suivi la rivière de manière linéaire ("le cycle de l'eau se comprend essentiellement comme une colonne" : les interactions entre la nappe et la rivière, la rivière et le milieu humide, le milieu humide et l'atmosphère).
Evidemment, ce qui ressort du film est l'état de délabrement avancé du gave du fait de la pression anthropique et du dérèglement climatique, et sa dégradation de plus en plus rapide. C'est d'ailleurs ce qui a poussé le réalisateur à faire ce film, qui cite explicitement le lien entre la situation du gave d'Oloron et le bassin versant de la Vienne où se situe la bassine contestée de Sainte-Soline. De ce point de vue là, le film est pour moi un échec complet. En effet, il reproduit les causes qu'il entend dénoncer en proposant une vision anthropocentrée, techniciste et aménagiste du territoire de la rivière.
Le film est très bavard. Il est constitué d'une succession de séquences où des experts, essentiellement des scientifiques, expliquent tour à tour un enjeu lié à la rivière. La nature sert de décor : de transition entre les discours des experts, de cadre pour les entretiens.
Les expert qui ont été choisis appartiennent tous au domaine des sciences naturelles : ils mesurent le niveau d'eau, la taille des poissons, la turbidité de la rivière, le nombre d'espèces de papillons... Ils transforme la rivière en chiffre et nous en livre un portait mathématique, désincarné. Les discours scientifiques basés sur une quantification de l'environnement sont essentiels pour comprendre la dernière, mais le problème réside dans tout ce qui est laissé de côté. Rien ou très peu n'est montré de la vie (humaine et non-humaine) autour de et avec la rivière. Aucun discours scientifique (sociologique, anthropologique, géographique, politiste, urbanistique...) n'est non plus porté sur la question du territoire autour de la rivière. La manière dont les habitant-es "portent la rivière" avec elleux n'est abordée que de manière métaphorique (les ortolithes, les bénévoles qui se démêlent les plastiques accrochés aux branches). La seule "modalité de l'accès a la rivière" présentée est celle de la science. Et le discours des scientifiques à l'écran est univoque : il exprime le seul point de vue de la rivière et de la catastrophe écologique qu'elle subit. Pourtant, le réalisateur explique bien que dans le cas français, et dans le cas du gave d'Oloron en particulier, la distinction nature-culture est très limitée étant donné l'importance des transformations anthropiques subies par le milieu.
Une des solutions les plus mises en avant : le ré-aménagement de la rivière selon les préconisations de la science. C'est-à-dire le même schéma de pensée aménagiste que celui qui a conduit le gave à sa situation actuelle, sauf que cette fois on détruit des barrages plutôt que d'en construire. La question évidente du rôle de la science dans les destructions passées n'est pas abordée.
Les causes de la destruction du gave d'Oloron sont occultés. On ne cherche pas à comprendre pourquoi les agriculteurs ont choisi de cultiver du maïs, d'avoir recours aux intrants et à l'irrigation, pourquoi les pêcheurs sont incapables d'assurer le renouvellement des populations de poisson, pourquoi les énergéticiens construisent des barrages sur des cours d'eau qui s'assèchent, pourquoi les glaciers disparaissent. Quand ces questions surgissent - parce qu'il ne peut pas en être autrement - elles sont pudiquement écartées : ainsi de l'agent du parc qui refuse de discuter des responsabilités, de l'étudiante qui considère que l'intérêt pour le climat plutôt que la biodiversité ou inversement relève de préférences personnelles, de l'agriculteur qui choisit des semences de maïs plus résistantes mais refuse de dire s'il a recours à l'irrigation. Les ennemis ne sont pas nommés. Des controverses, on ne voit qu'un versant.
Ce n'est pas l'ignorance qui a conduit à ce choix, mais la paresse : le réalisateur explique qu'après "avoir tenté de jouer le jeu des institutions", il a "eu envie de choisir son camp, d'être avec les amoureux de la nature". C'est un film fatigué (d'avoir fait confiance à la politique institutionnelle), donc fatiguant. Un film qui a choisi la contemplation pour ne pas avoir à s'engager dans la lutte. Dans son parcours écologiste, le réalisateur aura-t-il le courage dans son prochain film de nommer l'ennemi et de réfléchir aux stratégies à même de le défaire ?
Le film a tout de même le mérite de fournir de manière claire et agréable les éléments essentiels pour commencer à entrer dans le sujet.