Rétrospectivement, c'est quand même extraordinaire que ce film soit sorti un France en DVD. Un cinéaste pas forcément très connu chez les cinéphiles et un film assez particulier, quasi conceptuel. On n'ira pas s'en plaindre, à part pour regretter que ce genre de sortie n'existe désormais plus, puisque La Rivière Fuefuki est une immense réussite tant plastique que thématique.
Il y a d'abord ce parti pris audacieux de noir et blanc tantôt colorié partiellement, tantôt teinté. Ca m'a fait pensé au cinéma muet avec la peinture au pochoir et les teintages de manière générale. Je ne sais pas quelle était vraiment la source d'inspiration pour Kinoshita et à la rigueur, ce n'est pas très grave dans le sens où le résultat me semble assez unique d'autant qu'il n'y a pas toujours de logique dans l'utilisation des parties coloriées et leurs fréquences d'utilisations. Il y a bien une fonction psychologique ou narratif mais rien n'est définitif ou systématique non plus. Je pense que ça permet de créer une surprise permanente, désamorçant certaines attentes. Quelque chose d'imprévisibles un peu comme les aléas de la vie.
Ca conduit à un scénario tout autant audacieux avec son refus d'une narration conventionnelle, sans pour autant s'enfermer dans des contraintes absolues. Le film est donc essentiellement raconté au travers d'ellipses couvrant plusieurs décennies avec un minimum de repères temporaires (seules les batailles sont datées). Une coupe peut tout à la fois sauter 10 ans ou quelques jours avec une brillante fluidité, évitant pas mal d'écueils et de facilités comme des fondus au noirs.
Il en ressort une sorte de fuite en avant de temps sur lesquels les personnages n'ont aucune emprise.
Cette idée est formidablement symbolisé par l'utilisation de cette immense décor avec ce pont surplombant un large fleuve prenant une multitude de sens : une impossibilité de progression social, la séparation entre la vie et la mort, le temps qui s'écoule et aussi une force immuable contre lequel les personnages ne peuvent pas lutter. Ceux-ci sont littéralement écrasés par leurs conditions de vie et les tumultes de l'histoire, relayés à être avant tout des témoins impuissants des luttes de pouvoir. Kinoshita appuie cette notion en ayant très peu recours aux grands plans. L'essentiel de sa mise en scène repose sur des longs plans larges où les individus paraissent dérisoires dans le cadre, surtout face aux proportions du fleuve et du pont qui dégage quelques chose de fascinant et d'hypnotique. Une sorte d'attirance inexplicable auquel l'humain ne peut résister : celui de franchir ce pont et y trouver dans les exploits guerriers un espoir de sortir de sa condition. Tout gravite autour de ce besoin d'évolution. Le cadre et l'environnement bien sûr mais aussi les mises en gardes des aïeux qui à force de les décourager crée l'effet inverse : les pousser vers les champs de bataille.
Avec ce double dispositif de réalisation, le film, tout en étant incroyablement répétitif dans son scénario, est quasiment passionnant de bout en bout. Curieusement, c'est lorsqu'on s'éloigne longuement de la maison et des rives du fleuve que l'intérêt retombe un peu lors des 20 dernières minutes (mais peut-être dû à un problème de concentration – Brucette n'étant pas très discrète quand elle est au téléphone). Mais jusque là, c'était fabuleux et les petits intermèdes guerriers n'en ressortent que plus impressionnant, tranchant avec le calme et l'aération de la nature pour une fureur des champs de bataille formidablement retranscrite dans des plans sensationnels par leur ampleur et leur sens du mouvement.