Lors d'un accident de train, un chef mécano décide de recueillir une petite fille désormais orpheline, et il va l'adopter, faisant croire à son fils encore petit lui aussi qu'il s'agit de sa soeur. Les deux grandissent, et le père commence à éprouver des sentiments pour cette jeune femme prénommée Norma. Mais le fils également...
Il aura fallu près de 100 ans pour voir La roue tel que le voulait Abel Gance, à savoir un film [muet] qui dure sept heures, divisé en quatre époques. La durée a de quoi faire peur, mais pour l'avoir vu sur trois séances, ça passe très bien ; il faut dire que ses nombreuses qualités jouent en sa faveur. Et c'est quelque chose qu'il faut avoir fait dans sa cinéphilie : voir La roue, car personnellement, j'en suis ressorti bouleversé par ce qu'on peut appeler un drame en quatre actes. Cela tient d'une part à Séverin-Mars, qui joue Sisif le chef mécano, et qui est vraiment extraordinaire tant il est expressif ne serait-ce que par ses yeux, et son esprit qui commence à flirter avec la folie. Il est amoureux de Norma, mais ne veut pas franchir le pas car c'est sa fille, mais pas vraiment, et c'est comme une sorte de schisme où il va finalement abandonner cet amour, car elle va être promise à son patron, au profit d'un train. Quant au fils, joué par Gabriel de Gravone, il a lui aussi des sentiments, qu'il va réprimer toute sa vie.
La force d'un film muet, outre sa musique, est que seule l'image compte, j'ai envie de dire. Et là aussi, car les intertitres pourraient être supprimés que l'histoire resterait compréhensible, jusqu'à un final tragique au Mont-Blanc, et des idées visuelles que je trouve formidables, à l'image de la cécité progressive de Sissif qui est montrée à l'image par du flou ou les caches qui empêchent au spectateur de voir l'écran. La réalisation d'Abel Gance est d'une grande liberté, d'où la présence de plans de matières, d'objets, ou des variations de couleurs, comme des plans bleus qui deviennent soudainement oranges, partiellement en couleurs (à l'image du sang dans le prologue, colorié en rouge) t à la main : ça donne l'impression d'un monde en mouvement autour de ce quatuor, dont l'histoire va durer plusieurs années.
La roue a été tournée après J'accuse, qui fut un gros succès, ce qui a donné à Abel Gance des moyens considérables, notamment toute la partie au Mont-Blanc qui est bouleversante, digne d'un mélo de Douglas Sirk en plus noir, et toute latitude pour terminer son histoire comme il l'entendait.
Du moins dans la version complète de 2020, car le film a été massacré, jusqu'à durer seulement 90 minutes !
La durée peut être un frein, d'autant que certains moments auraient pu être raccourcis, mais, à la manière d'une série télé, je conseille de le voir en plusieurs parties, d'où les époques, mais pas une seule fois je m'y suis ennuyé.
Il y a quelque chose du cinéma premier qu'on voit dans ce film, vraiment sublime. Et saluons pour une fois les efforts de Pathé ainsi que ces mécènes pour avoir entrepris la restauration de La roue, qui a pris quatre années, pour un résultat bluffant. Et une immense découverte !