John Truby l'avait écrit dans son Anatomie du Scénario (à propos des intrigues) :


LES DIFFÉRENTS DEGRÉS DE DÉSIR :
Une partie du succès de votre histoire repose sur le degré de désir que vous donnez à votre héros. Un désir qui reste faible tout au long de l'histoire amoindrit le héros, et, pour ce qui est de l'intrigue, rend toute complexité littéralement impossible. Le plus faible degré de désir, par exemple, est la survie. Le héros est attaqué et cherche à s'échapper. Cela le rabaisse au stade de l'animal. L'intrigue des histoires de fuite rend simplement à répéter les mêmes temps forts de la fuite.
Vous trouverez ci-dessous les différents degrés de quelques-unes des lignes de désir classiques, depuis le plus faible jusqu'au plus fort :
1) Survivre (s'échapper)
2) Prendre sa revanche
3) Gagner le combat
4) Accomplir quelque chose
5) Explorer un monde
6) Attraper un criminel
7) Découvrir la vérité
8) Gagner l'amour
9) Rétablir la justice et la liberté
10) Sauver la république
11) Sauver le monde

John Truby précise bien la distinction entre désir et besoin, qui ce même besoin se divise en 2 catégories (besoin à la fois psychologique et moral) ; selon lui.


Oui selon lui car chez nous le français Yves Lavandier désapprouve cette vision sans doute trop américaine de Truby, en expliquant ses raisons dans son livre (considéré au même titre de celui de Truby parmis les meilleurs livres de scénario) : La Dramaturgie :


DU PLUS ANIMAL AU PLUS 《 NOBLE 》
John Truby pense pareillement que l'immense majorité des actions humaines peuvent se réduire à un petit nombre d'objectifs. Dans son livre, il hiérarchise les objectifs - qu'il appelle 《desire 》(...)
L'idée de hiérarchiser les objectifs est intéressant et la liste de Truby commence superbement. Survivre et se venger sont deux objectifs primitifs qui ramènent l'humain à sa dimension animale. On comprend tout de suite pourquoi certains films sont plus efficaces que d'autres : ils brassent des valeurs archaïques, visent le cerveau reptilien du spectateur.
En revanche, au fur et à mesure que je parcours la liste de Truby, je m'interroge. En quoi attraper un criminel est-il plus haut qu'accomplir quelque chose ? Et puis surtout la fin me laisse pantois. Sauver le monde serait l'objectif le plus noble du répertoire ?
Je veux bien le croire si l'on considère La Liste de Schindler ou Hôtel Rwanda. Mais sauver le monde est aussi l'objectif de James Bond, de nombreux super-héros et des protagonistes des Tortues Ninja. En d'autres termes, sauver le monde s'accompagne souvent d'une vulgaire et dommageable apologie de la toute-puissance. En outre, sauver les autres, même tous les autres, est étroitement lié à la survie des superorganismes. On ne s'éloigne guère de la biologie animale.
Il me semble qu'attendre des niveaux supérieurs de conscience ou d'humanité est un objectif aussi noble que sauver l'autre. À moins que Truby pense à une personne en particulier dont on prétend qu'elle a sauvé l'humanité toute entière en se faisant crucifier. Pourquoi pas. Mais force est de reconnaître que cela limite le choix du protagoniste. Il m'est avis qu'offrir une sépulture digne à son frère (Antigone), faire connaître la vérité contre l'obscurantisme (La vie de Galillé) ou être en accord avec sa conscience (Thomas Moore) sont des objectifs aussi nobles que sauver la planète.
Le début de la liste de Truby fait penser à la pyramide des besoins de Maslow. J'ai d'ailleurs cru qu'elle finirait de la même façon. Dans les années 40, le psychologue Abraham Maslow a émis l'idée qu'un être humain cherche d'abords à satisfaire ses besoins fondamentaux avant de passer à des besoins moins prioritaires. Les premiers besoins sont liés à la survie : nourriture, sexe et sécurité. C'est seulement quand les premiers besoins sont suffisamment satisfaits que l'être humain peut se consacrer à des besoins de niveaux supérieurs comme trouver l'amour, obtenir de l'estime, se cultiver, affiner la conscience de sa vie, faire du bien aux autres, etc. C'est une hiérarchie différente de celle de Truby mais qui mérite attention.
(...) Une chose est sûre, un objectif primitif comme survivre ou se venger touche plus profondément un spectateur moyen - même si c'est surtout aux tripes - qu'un objectif plus subtil ou plus noble comme trouver un équilibre intérieur. C'est l'une des raisons pour lesquelles les 《petits 》films à hauteur d'humain passent si souvent inaperçus et sont parfois qualifiés de gentils. Pour le grand public comme pour les intellectuels - qu'on pourrait imaginer plus sensibles à la subtilité -, les objectifs primitifs sont plus fédérateurs que les objectifs supérieurs.
Ben-Hur (Chalton Helston) a beau dire que son objectif est de trouver sa mère et sa soeur, ce qui importe le plus au spectateur de Ben-Hur est qu'il se venge de Messala (Stephen Boyd). C'est pourquoi, après la course de chars, alors que Ben-Hur s'est vengé à l'issue d'une scène très spectaculaire, la plupart des spectateurs ont un peu de mal à s'intéresser aux vingt-cinq minutes qui restent.
On remarquera enfin que la nature de l'objectif ne suffit pas, la noblesse dépend aussi des moyens employés. Des histoires de vengeance comme L'arnaque, Coup de tête, Hamlet, Le Limier ou Manon des Sources sont autrement plus subtiles que Kill Bill, Gladiator ou le Vieux Fusil.
Coup de tête, en particulier, est exceptionnel. Car le protagoniste se venge avec intelligence émotionnelle. Et pourtant, dans tous ces exemples, l'objectif général est bien le même : se venger.
" La vengeance c'est pour les ringards " dis carrément Henry (Paul Newman) dans L'arnaque, histoire de signifier qu'il y'a vengeance et vengeance. Celle qui est mue par la moelle épinière et celle qui fait preuve de finesse ou de créativité.

La Route ne mène nul part. On le sait déjà dans ce monde post-apocalyptique. Le post-apocalyptique a beau se dérouler après la catastrophe, il n'en demeure pas moins qu'il se risque lui aussi à ennuyer par sa bête répétition sans fin de la fuite et l'attaque dans une survie en plein milieu hostile (comme le film catastrophe). Même si c'est profondément ancré en nous, on tourne vite en rond dans une fiction.

La Route aurait sans doute pu faire un bon jeu vidéo (ah mince il y'a déjà The Last of Us en plus adapté).


Pourtant ce qui plaît dans cette route vers l'enfer (Highway To Hell), est ce refus au spectaculaire en proposant de jolis paysages propres au post-apocalyptique (bien entendu).


Autant vous le dire tout de suite que c'est déprimant, en priant que le ciel ne nous tombe pas sur la tête par Toutatis, afin que l'humanité soit préservé d'un pareil avenir funeste sans espoir.

Analyzer-Robot
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le 27 sept. 2024

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