L'amour paternel, l'instinct de survie et l'espoir, tels sont les puissants moteurs du personnage de Viggo Mortensen dans ce film de John Hillcoat, qui adapte ici un roman de Cormac McCarthy, l'auteur entre autres d'un autre roman adapté au cinéma "No country for old men", où l'on retrouve cette solitude, ce fatalisme et cette violence , ici dans un futur post apocalyptique, mais sans les attraits d'un monde sans lois qui libérerait la folie exubérante et jouissive des hommes, mais plutôt sa nature prédatrice.


Après une catastrophe provoquant la fin de quasiment toute la vie sur Terre (faune et flore ont disparu), un père et son fils tentent de survivre dans cet environnement grisâtre, de plus en plus froid, aux ressources rares, et où les signes de vie, c'est à dire de présence humaine, sont synonymes de danger mortel. Livrés à eux-mêmes, les hommes s’entre-dévorent, par nécessité, mais non sans une certaine cruauté. Un portrait de notre propre nature, porteuse d'une violence qui fait froid dans le dos tant elle est dépeinte avec justesse, qui fait face à l'autre versant de notre humanité, celui qu'incarne Mortensen, un homme bon, hanté par le bonheur de son passé.


Son histoire nous est révélée peu à peu au moyen de flashbacks lumineux (les rêves et souvenirs de sa femme) venant contraster avec la réalité cendrée du présent. Un couple aimant, un enfant à venir et une catastrophe qui vient redéfinir toute notion d'avenir. Elle fera le choix, quelques années plus tard, de renoncer à cette survie âpre, le laissant seul avec leur fils face aux épreuves de ce monde mourant. Seul espoir alors: partir vers le sud, où le climat serait plus clément.


La route à la fois comme échappatoire, et comme purgatoire, où le père confrontera sa violence, son instinct de survie, à la candeur de son fils, une innocence inadaptée (qu'il s'efforce néanmoins de sauver avec ses discours manichéens) mais symbole de l'espoir en une humanité plus solaire.


Dans la première partie du film, le chemin ne sera que dangers (l'effroyable scène de la cave), confortant le père dans sa perception (et la notre, plongeant le spectateur dans ce ressenti de danger imminent) des autres comme autant de menaces mortelles, appuyant son discours envers son fils de leur rôle de "gentils", contre les "méchants", ces fous prêts à tuer quiconque pour s'en nourrir.


Dans la deuxième partie, le fils bousculera les notions profondément ancrées chez son père en manifestant cet élan de vie si naturel chez les enfants par cette volonté de contact avec des congénères, notamment lorsqu'ils rencontrent le vieil homme (Robert Duval), pour un échange touchant, tout en retenue et sincérité, sans détours ni sentimentalisme. Des valeurs ébranlées aussi lorsque le fils demandera encore et encore s'ils sont toujours des gentils, alors que son père tue, dépouille ou se méfie du moindre être humain.


Le père se battra sans relâche pour permettre à son fils de survivre, tentant de lui donner les conseils utiles à sa survie, et tombera de fatigue, de maladie, de blessure (infligée par des survivants, se défendant en se pensant suivis par Mortensen et son fils, comme un retour de bâton de cette attitude paranoïaque), au moment où des signes d'espoir (l'insecte qui s'envole) apparaissent.


La fin peut déstabiliser tant elle se présente comme un happy end qui dénote avec le ton résolument désespéré du film, mais soutient en réalité le thème de l'espoir, soit le combat du père, avec ces nouveaux "gardiens de la flamme".


Tout le film traduit une touchante sincérité, incarnée par des acteurs qui jouent juste (à l'image d'un Viggo Mortensen dans un de ses meilleurs rôles, marqué et intense tel un dessin d'Enki Bilal), dépeignant avec acuité la violente désespérance que peut générer cette existence, palpable de réalisme, où la survie est un combat de chaque instant, et l'amour paternel, le moteur d'une lutte acharnée. La réalisation, sobre, met en place une esthétique de la désolation d'une grande beauté plastique sans en rajouter, captant ce charme si particulier que peuvent avoir les friches industrielles comme autant de clichés de notre glorieux et négligeable passé, d'une modernité qui s'éteint doucement dans une nature austère qui use les souvenirs.


Un grand film post apocalyptique, sorte de survival dramatique, sans artifices mais fait avec une sensibilité et une finesse qui sonnent juste, d'où découle une charge émotionnelle très forte et une esthétique efficace et marquante.

McReady
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le 1 févr. 2019

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McReady

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