Dans l'après-guerre de 1999, au Kosovo, La Ruche comme son nom ne l'indique pas, nous parlera plus globalement de l'activité agricole créée par Fahrje Hoti, à défaut de pouvoir récolter le miel de la ruche, avec la même dextérité que son époux disparu, mais qui aura été l'élément fédérateur de sa démarche. De ce témoignage, on salue le courage de cette femme qui nous permettra, si besoin est, de revoir nos priorités et de nous rappeler à ces guerres si vite oubliées. Tiré de faits réels, romancés, Fharje continue aujourd'hui sa production du caviar des Balkans, cette purée de poivrons que l'on dit si goûteuse, en faisant travailler plus de 60 femmes et en vendant sa recette dans toute l'Europe.
Blerta Basholli propose un portrait de femme en quête de liberté avec la même fluidité que Nathalie Àlvares Mésen avec Clara Sola. Deux premiers films qui mettent en valeur le féminin soumis à vents contraires pour des récits sobres et puissants, où le réalisme n'aura rien de magique ici, au profit d'une photographie terne et de décors désolés pour rendre compte des dommages collatéraux au long cours.
Et de ces premiers longs métrages, on pense à celui d'Angelina Jolie,Au pays du sang et du miel, pour nous assurer de l'excellence des femmes réalisatrices et de leur caméra qui ne lâche pas leur personnage, pour une même force narrative. Sans user de sentimentalisme exacerbé et sans parti pris, vient aussi en mémoire l'excellent film au sujet rapprochant, Mandarines, de Zaza Urushadze, et nos deux irréductibles Estoniens, acharnés à la culture de leurs fruits dans le chaos ambiant, trouvent ici leur miroir dans ces femmes confrontées aux traditions, qui finiront elles aussi par se rejoindre dans la lutte contre l'absurdité.
Soutenu par la performance de son actrice (Yllka Gashi), à l'instar de Wendy Chinchilla Araya, toute de silence et de regards, les situations d'une banalité dérangeante marquent brillamment à la fois la soumission, la ruse et la volonté, mais surtout la nécessité de recul face à la violence des échanges, souvent fourbe des hommes du village.
La condition de Fahrje, c'est celle des femmes, majoritairement veuves, qui devront faire vivre leur famille en étant constamment freinées par la population masculine peu encline à les laisser subvenir seules à leur besoin.
Du simple fait de passer son permis, les femmes sont désavouées. De l'absence de revenus et des dettes qui s'accumulent, elles doivent pourtant rester à la maison, quitte à impacter toute la communauté. La moindre prise de sang, ou la vente d'objet appartenant aux hommes disparus, est un parcours du combattant. Les enfants eux-mêmes dénoncent par leur comportement la main mise patriarcale et un simple j'ai parlé du patriarche, anéantira toute prise de décision.
Quand ce n'est pas une voiture que l'on dégrade, des locaux vandalisés, c'est un corps que l'on veut s'approprier, signifiant toujours l'hypocrisie des hommes face à des femmes sans mari. C'est aussi la dure réalité des charniers et l'absence de corps, où seuls des vêtements pourront justifier de la perte, étalés et numérotés dans une salle de classe, qui vient alourdir le difficile travail du deuil.
C'est alors l'opportunité de mettre à profit les seuls talents reconnus des femmes. La cuisine. Avec l'ajvar, qui pourrait être vendu au supermarché du village, la réalisatrice retrace le parcours de Fahrje qui aura du user de pugnacité pour mener à bien son entreprise et mobiliser les femmes du villages à leur propre survie. Une communauté qui aujourd'hui semble heureuse de cette réussite, alors que la condition des femmes, de ces pays en particulier, semble rester au point mort.
Malgré l'ambiance délétère et si peu poétique, Blerta Basholli insuffle à son histoire une légère brise d'optimisme et rend hommage à tous les combats.