Tout commence par une ballade sauvage. Une chatte noire vagabonde de sa démarche souple et féline si séduisante sur un air entrainant de Walk On The Wild Side. Sauvage et fière, elle se fraye un chemin sur les pavés de la ville, défend son honneur dans une échauffourée avec un frère de race d'un blanc immaculé, comme un symbole, avant de poursuivre impunément sa route infinie qu'elle appelle liberté.

C'est ce qu'exhale ce Walk On The Wild Side de Edward Dmytryk : un doux parfum de liberté, fenêtre sur une vie aussi terrible que passionnante. Ce petit brin de folie, de mépris indifférent envers le monde, cet entêtement moral d'être ce qu'on est, et de chérir le peu qu'on a, qui fait que l'on ne peut vivre que plus intensément nos aventures personnelles. C'est dans cet état d'esprit que se rencontrent Kitty Twist (Jane Fonda) et Dove Linkhorn (Laurence Harvey). En plein milieu de nulle part, il s’est déniché son lit de fortune-un énorme cylindre de ferraille- pour finalement se faire haranguer par une créature à l’allure non moins étrange que ravissante, irradiant d’énergie, sournoise et attachante. Ils font un bout de chemin ensemble, entre train à la dérobée et marche enthousiaste en direction de la Nouvelle-Orléans. Enthousiaste, Kitty l’était trop lorsqu’elle apprend l’objectif de son compagnon de voyage, ce qui aura tôt fait de calmer ses ardeurs et de laisser son amour-propre s’effriter dans la douleur.

Leurs chemins se sépareront sur le territoire de la belle Teresina (Anne Baxter), femme posée au grand cœur qui va s’éprendre de ce visiteur au premier regard. Mais Dove recherche la femme de sa vie qu’il s’était promis de retrouver. Une autre wildcat (féline) dénommée Hallie, interprétée par la sublime Capucine. Par empathie, amour, excès de bonté et non sans ressentiment, Teresina ne trouvera d’autre solution que de l’aider dans sa quête. Quoi de plus tiraillant pour une femme amoureuse que de guider celui qu’elle aime retrouver une autre femme… Trois femmes pour un homme. Trois félines, aussi différentes que belles, rares et marginales à leur façon, trois trésors fabuleux de la gent féminine.

Dove parviendra à retrouver Hallie dans la Doll House de Jo (Barbara Stanwick, excellente en harpie de la haute), mais elle n’est plus celle qu’il a connu. Comme il le dit lui-même « It’s like I’m walking with another girl. Her name is Hallie, but I hardly know her.» Les années ont défilé depuis leur dernière rencontre, et les changements dans la vie d’Halllie furent légions. Mais quelqu’un peut-il vraiment changer ? Dans le fond, ne reste-t-on pas ce qu’on a toujours été, peu importe ce qui compose ce « on » ? La façon dont on habille un bonbon ne change pas sa nature. Retrouvailles déchirantes avec son amour passé, les sentiments viennent vous ramener à la réalité de votre vie telle une vague inflexible. C’est ce qu’on appelle la lumière de la vérité. Que faire alors ? Comment affronter la parodie de vie que l’on s’est menti à apprécier toutes ces années durant ? Rien n’est plus dur que de récupérer sa vie lorsque l’absence d’espoir nous l’a retirée.

Mais le cœur a ses humeurs, ses forces et ses faiblesses. C’est bien ce sur quoi s’appuie Dmytryk dans son film. La confrontation des aspirations personnelles d’âmes marginales à la réalité d’un monde qui leur échappe, d’une société leur refusant le peu de place qu’ils escomptaient en son sein pour vivre leur vie selon leur cœur, selon une volonté candide de prendre le plaisir là où il se trouve, simplement, sans artifices, sans contraintes. Le wild side de l’Amérique pauvre et dépenaillée n’est dépeinte qu’en couleurs de fond, mais Walk On The Wild Side se prend à en donner une vision presque onirique. Preuve en est, ses personnages n’ont rien des habituels richissimes du genre. Dove et Kitty sont des vagabonds, Teresina vit seule et tient un café / station-service, et Hallie mène une vie d’emprunt, une existence fallacieuse qui ne la pousse qu’à se renier elle-même. La différence les caractérise, mais une chose les rassemble : le besoin d’amour.

Un film au charme redoutable, une comédie dramatique rythmée qui fait la part merveilleuse à trois femmes hors du commun, trois félines avides d’amour et de liberté, de reconnaissance et d’indépendance, dont le charme n’a jamais cessé de me combler. Les errements d'un chat sauvage ne s'expliquent pas : ils se vivent.
Taurusel
8
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le 12 déc. 2012

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le 12 déc. 2012

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