La Rumeur
7.7
La Rumeur

Film de William Wyler (1961)

Martha et Karen dirigent ensemble un établissement privé pour jeunes filles. Sages et bien élevées, elles forment une joyeuse sororité, jusqu’à ce que l’une d’entre elles, affectée par une punition jugée ingrate, décide de répandre une rumeur qui va faire s’effondrer la réputation de l’école : les deux directrices entretiendraient une relation d’ordre illicite.


Dans le cinéma de Wyler, les femmes sont filmées sous un angle plutôt classique, dans un style académique. Arrivé tardivement dans une filmographie éclectique et un penchant de son réalisateur pour le grand spectacle, LA RUMEUR ressemble au pied dans la porte, au post it du cinéaste sur le mur, au post scriptum d’une œuvre colorée et divertissante. A l’heure où la masculinité bat son plein sur les affiches, le Code Hays succombe peu à peu à l’émancipation des années soixante, ce qui n’est pas pour déplaire à la plupart des cinéastes adeptes de liberté qui s’empressent de jouer avec les codes de genre, comme le fait habilement Billy Wilder avec le travestissement (CERTAINS L’AIMENT CHAUD, 1959).


Il est bien connu que la qualité du casting assure au film une certaine visibilité, et Wyler compte bien ainsi remettre au goût du jour son propre remake de l’adaptation d’une pièce de théâtre écrite par Lillian Hellman, elle-même inspirée par une affaire similaire datant du XIXème siècle en Ecosse, où deux institutrices s’étaient vues accusées de saphisme par une élève mal intentionnée. Difficile de ne pas voir une muse en la personne d’Audrey Hepburn, lorsqu’elle est libre d’exprimer par un simple regard le panel des sentiments pouvant traverser un être en l’espace d’une demi-seconde. Connue du public pour sa balade à la guitare sur un bord de fenêtre dans BREAKFAST AT TIFFANY’S ou sa candeur de jeune fille dans FUNNY FACE, elle est cependant moins admirée alors pour ses qualités de jeu mature et polymorphe. C’est précisément ce qui va la charmer dans la noirceur du scénario de LA RUMEUR, où elle tient la vedette avec Shirley MacLaine, qui vient de voir son précédent film remporter cinq Oscars (LA GARCONNIERE, Billy Wilder).


BONNES MŒURS VS JUGEMENT DERNIER


Les deux amies, rarement mises au même plan à l’image comme dans un jeu visuel de distanciation, sont loin de s’imaginer la puissance de la parole irréfléchie de leur jeune pensionnaire indocile et vengeresse (Veronica Cartwright,) associée à sa grand-mère, la sournoise Amelia Tilford. Ironiquement dans le film, ceux qui portent un intérêt à l’orientation sexuelle des autres sont les mêmes qui prônent l’amour universel par la prière et la foi chrétienne.


Wyler définit lui-même son film comme une étude de mœurs tout en nuances, ne cherchant pas à faire violence à une bourgeoisie réfractaire mais bien plutôt à interroger l’appropriation du désir féminin. Usant de techniques avant-gardistes comme le jump cut, le film s’inscrit dans un Hollywood en pleine mutation à divers niveaux.


CHUCHOTER LE DÉSIR FÉMININ


Aujourd’hui quelque peu méconnu, si ce n’est pour nourrir les analyses filmiques d’étudiants en cinéma ou servir le journalisme féministe et engagé, bien qu’ayant été nominé maintes fois aux Oscars de l’époque, LA RUMEUR, invisibilisé à sa sortie par un film abordant l’homosexualité de deux hommes (LA VICTIME, Basil Dearden), nous apparaît comme le murmure d’un film engagé qui joue sur l’évocation, amenant une profondeur d’une rare violence et usant d’ironie pour placer le sex symbol masculin au second plan, offrant à voir la rareté d’un James Garner laissé pour compte, frustré et dédaigneux. Avec pudeur, nous suivons l’histoire des deux héroïnes, affranchies des diktats conservateurs qui suintent à travers cette illusion de collectivité féminine libre et indépendante, cette pyjama party encadrée par un ordre patriarcal bien présent et renforcé par la quasi-totalité des personnages secondaires, par ruse vis-à-vis de la distribution, sans doute aucun.



eleonoreoldwood
8
Écrit par

Créée

le 5 mars 2023

Critique lue 16 fois

3 j'aime

eleonoreoldwood

Écrit par

Critique lue 16 fois

3

D'autres avis sur La Rumeur

La Rumeur
Torpenn
7

Gay pride and prejudice

Auto-remake par Wyler d'un film de 1936 avec Merle Oberon, Joel McCrea et Miriam Hopkins, que nous retrouvons ici en 1961 dans le rôle de la vieille tante excentrique. Deux amies tiennent une école...

le 7 déc. 2011

54 j'aime

26

La Rumeur
Silence
9

Sapho le fair [8.8]

C'est un fait divers du XIXe siècle qui servit de support à la piece de Lillian Hellman : "The children's hour". Totalement censurée dans un premier temps, son succès éclata à Broadway en 1934...

le 31 mai 2013

36 j'aime

10

La Rumeur
Hyunkel
7

L'heure des enfants

Après avoir fait découvrir au monde entier le talent de la belle Audrey Hepburn dans Vacances Romaines, William Wyler retrouve son actrice fétiche pour le remake de son film Ils étaient trois, sorti...

le 20 avr. 2012

16 j'aime

2

Du même critique

Cyrano
eleonoreoldwood
3

FARCE MUSICALE

Erica Schmidt, metteuse en scène de la comédie musicale Cyrano, rejoint à présent le réalisateur Joe Wright pour écrire un scénario tout à fait atypique autour de la pièce de théâtre française la...

le 11 mars 2022

13 j'aime

2

Portrait de la jeune fille en feu
eleonoreoldwood
5

LA MER CONTEMPLEE EST UNE REVERIE

Disait Victor Hugo. L'eau, comme un roulement fort et silencieux où se cachent ensevelies passions. L'élément de l'eau reste omniprésent, dans un paysage sauvage et en rappel du symbole de la...

le 5 sept. 2019

10 j'aime

6

Kajillionaire
eleonoreoldwood
6

IMMENSEMENT RICHE

Old Dolio n'a pas de parents, mais fait partie d'un clan. De même qu'elle n'est pas vraiment une fille, en dépit de ses longs cheveux blonds. Sa voix, ses vêtements flottants, tout est mis en œuvre...

le 2 oct. 2020

8 j'aime