They aren't many safe words anymore.
Un film comme une descente tragique, où les relations, les mots, les préjugés, les apparences se distordent aussi lentement qu'inexorablement.
C'est aussi fascinant qu'insoutenable à regarder : de la méchanceté d'une enfant pourrie gâtée va naître une rumeur qui, comme une vague gagnant peu à peu en force et en violence, va détruire et renverser toutes les vies qu'elle heurtera. Celle de ces deux institutrices accusées d'homosexualité, du soupirant de l'une d'entre elles, des enfants qu'elles avaient à leur charge, de la famille respectable qui a donné naissance au petit monstre.
Au cours de cette lente chute, les mots et les concepts se métamorphosent : enfant n'est plus synonyme d'innocence, amitié cache mal un amour latent, amour prend bien des formes, famille n'est plus qu'un maigre rêve, école n'est qu'effondrement, mensonge peut révéler une once de vérité, calomnie torture avant de libérer les non-dits... Tous se travestissent pour révéler les différentes formes que peuvent emprunter l'homophobie, les travers de certaines éducations, l'effet pervers de certaines communautés, promptes à diaboliser l'autre, le "un-natural". Tous forment des costumes mal rapiécés qui viennent vêtir les deux accusées, transformées, bien malgré elles, en marionnettes de la rumeur et de l'opinion des autres (magnifiques performances d'Audrey Hepburn, dont les yeux débordants de bienveillance m'auront coûté quelques larmes, et de Shirley MacLaine, boule d'émotions dont la tristesse à vif aura fini de m'achever). Dépossédées de leur destin, elles n'ont presque plus qu'à attendre que celui-ci vienne enfin les achever, faute de pouvoir reconstruire quoi que ce soit de valable quand les bases du langage ont ainsi été renversées.
Ce mécanisme insurmontable de la bêtise du groupe, de son essentielle intolérance, et la conclusion tragique vers laquelle il ne peut que tendre, est ici montré avec une efficacité redoutable. Wyler parvient, malgré les relents nauséabonds que provoque son sujet, à trouver les bases d'une réalisation sans pathos, fine, subtile. Qu'il exalte la souffrance portée par le visage de ses actrices, choisisse quelques cadrages subtils (l'avant-dernière scène est d'une sobriété exemplaire, avec ses jeux d'ombres révélateurs), multiplie des travelings qui soulignent la tension dramatique, emploie un noir et blanc somptueux... Il est toujours humainement fort juste.
Un beau, un grand film qui, même si le propos serait sans doute abordé plus frontalement aujourd'hui, me semble avoir valeur de classique, tant les rumeurs et les préjugés empruntent toujours le même schéma inexorable.