Quel drôle de documentaire que cette expérience pas vraiment écologique, mais centrée sur un homme en perdition, et son obsession. Une rencontre étalée sur un an, au fond de l’océan atlantique, avec une pieuvre !
J’ai été perturbé par un incipit qui pose le récit pendant une dizaine de minutes de façon très décousue, à l’image de son narrateur si étrange, et clairement en état dépressif (ce qui occasionne, il ne faut pas s’en cacher, quelques fous rires involontaires au visionnage).
Nous suivons avec perplexité cet homme plongeant dans les profondeurs d’une eau froide d’Afrique du Sud. A moins d’un kilomètre de sa maison de naissance, il se lance dans un nouveau baptème, qui passe forcément par l’eau. Tous les jours, sans combinaison, sans bouteille, sans caméra au début, on peut parler d’expérience tant le cadre est à la limite du sportif.
Loin des documentaires modernes et de ce que je pensais voir en lançant my Octopus Teacher (titre ô combien plus évocateur en anglais) les images ne sont pas exceptionnelles. En 4K et sur un immense écran le fond de l’océan et la forêt de Kelp sont d’une beauté envoutante, mais je crois m’être habitué aux récentes productions qui changent de lieu toutes les cinq minutes. Pas de çà ici : le sujet est unique, l’intérêt ailleurs et autrement moins tape à l’oeil, resserré autour de deux questions et d’un ressenti :
Pourquoi un poulpe ?
Au vu du lieu et de la faune que nous découvrons au fur et à mesure de la vie de cette pieuvre, il est légitime de se poser la question du choix de l’animal-centre de ce documentaire. Pourquoi un poulpe, quand il y a des requins, otaries phoques et poissons multicolores en tout genre ? La rencontre est fortuite. L’homme pense retrouver quelque chose de perdu en lui, et il pense le trouver sous l’eau bouillonnante. Dans le même état contemplatif que le nôtre (c’est tout l’intérêt du documentaire) c’est la nature elle même qui va lui tendre la tentacule.
Le poulpe est un être extraordinaire, mais il est vrai, assez ennuyant à suivre sur une heure vingt. Ce n’est ni le détail de ses capacités ni son intelligence qui servent le récit, mais seulement la relation qu’il essaie de créer avec le plongeur, déconcertante pour un être de sa taille et de son intelligence. C’est ce simple effet de surprise qui a suffi a cet homme pour revenir tous les jours pendant un an voir ce poulpe, et c’est ce simple effet de surprise qui nous tient en haleine pendant la durée du documentaire. Il n’y a pas à aller chercher plus loin, car malheureusement, la partie un peu plus romancée, trop tire larmes, perd en intérêt.
Jusqu’où va la rencontre animale ?
Le cadre correspond à la durée de vie de la pieuvre et l’observation de son comportement de mollusque, apparemment peu intelligent (même si dans la culture collective l’intelligence de la pieuvre est déjà quelque peu acquise).
Au fur et à mesure des rencontres, du peu qu’il se passe réellement, on alterne entre déception, étonnement et empathie. Cette obsession pour ce poulpe semble sortie de nulle part. Et l’absence claire d’informations sur l’état du narrateur, qui se contente de filmer, d’un point de vue quasi extérieur ce monde sous marin nous place directement en premier spectateur, essayant clairement de nous faire ressentir ses peines et frustrations, qui ne sont pas directement liées à ces rencontres sous marines.
Là, le documentaire s’enfonce malheureusement dans certains poncifs et musiques appuyant des péripéties qui perdent en intérêt malgré l’enjeu : la survie du poulpe. Il est alors intéressant de voir le narrateur tiraillé par sa volonté d’aider l’animal avec qui il a créé une relation.
Reste un ressenti aquatique :
Sans énoncer une seule fois les mots « dépression » ou « écologie » ce documentaire réussit à être un puissant manifeste de l’interaction de l’homme dans le milieu naturel. Pas de poncifs mais une rencontre, entre un animal et un homme un peu étrange, que nous pourrions tous être. Il y a aussi cette puissante décentralisation du regard qui nous apprend avec force le lâcher prise : on ressent l’envie d’aider le poulpe, et cette envie c’est la nôtre.
La force du documentaire est de rendre notre la thérapie de ce plongeur solitaire, dans ce monde innocent et cruel qui existe un peu partout au coin du monde.