Cinéaste radical au style immédiatement identifiable Tsai Ming-Liang s'est rapidement imposé comme le chef de file du cinéma taïwanais dans le courant des années 90. Auteur à part entière, figure concernée par les questions d'oppression urbaine et de solitude qui en découle le réalisateur est parvenu - depuis son très beau et fascinant Vive l'amour - à construire une Oeuvre homogène et visuellement passionnante, peuplée d'âmes esseulées errant dans de vastes couloirs, dépouillés pour la plupart...
La saveur de la pastèque reste admirablement symptomatique en la matière. Comme toujours Tsai Ming-Liang place sa caméra mieux que nul autre, la faisant agir tel un révélateur filmique : cadres fixes, séquencés presque, qui dictent et conduisent quasiment à eux seuls le récit de cette fantaisie érotique peu banale. Comme souvent chez le réalisateur l'humeur de cette oeuvre étrange et hypnotique lorgne vers un apaisement mâtiné de mélancolie ; il est évidemment question de sexualité, qu'elle soit de l'ordre du fantasme ou du rituel ( on devine le potentiel suggestif des fameuses pastèques ) ou de la froideur mécanique d'un tournage de film pornographique. C'est avec toute l'inspiration dont il a toujours su faire preuve que Tsai Ming-Liang capte des gestes, des corps en déplacements ou des ébats physiques... Mais la promiscuité apparente des quelques personnages du film couve en fin de compte une incapacité à communiquer, voire à coexister. Taiseux mais fin observateur le cinéaste livre une nouvelle fois un morceau de cinéma d'une belle singularité qui place la question de mise en scène au coeur de son propos.
Entrecoupée d'intermèdes musicaux enjoués, délirants, d'une bizarrerie salutaire La saveur de la pastèque est une fable sexuée remarquablement pensée sur le plan purement visuel. L'épure évidente de Tsai n'est finalement qu'un leurre, tant le réalisateur utilise l'intégralité des éléments du champ avec brillance, allant jusqu'à réinventer le split-screen au détour d'une ligne de force. La géométrie des intérieurs et des espaces en général forme une architecture dramaturgique étonnamment moderne, accouplée à une tonalité mêlée de burlesque, de poésie et de sensualité. Excellente musique !