Billy Wilder considérait La Scandaleuse de Berlin comme un de ses films les plus réussis.

Dès la première séquence du film, qui se déroule dans l’avion arrivant à Berlin, on est sur la corde raide, puisque l’aspect comédie est contrarié par la vision d’une ville quasi totalement rasée par les bombardements alliés, ville qui apparait aux hublots de ce même avion. Et cette vision d’apocalypse est commentée avec cynisme par la délégation du Congrès américain venue enquêter sur le moral des troupes d’occupation.

Il en sera de même pendant toute la durée du film puisque tout l’aspect comique du triangle amoureux se déroule dans des ruines dans lesquelles règnent la misère, le marché noir, où les femmes se prostituent pour une tablette de chocolat, ce marché noir et cette prostitution apparaissant comme le seul recours pour échapper au froid et à la faim. Cerise sur le gâteau, l’armée d’occupation américaine participe à la corruption généralisée, et la dénazification s’effectue plus que laborieusement. Le capitaine John Pringle (John Lund), qui dans le film est chargé de cette dénazification, a lui-même une liaison avec l’ancienne compagne d’un dignitaire nazi, Erika von Schlütov (Marlene Dietrich) au passé plus que trouble. À l’époque, La Scandaleuse de Berlin est l'un des rares films à décrire la vie quotidienne dans les ruines de l'Allemagne à la fin des années 1940 et surtout à contenir des prises de vues documentaires tournées à Berlin même par Wilder et très habilement intégrées au reste du film.

Comme le fait très justement observer Olivier Père : « Pour le viennois Wilder, La Scandaleuse de Berlin offre l’occasion de retourner dans la ville où il a passé une partie de sa jeunesse, avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, et aussi de se confronter avec son maître Lubitsch, qui avait osé se moquer du nazisme dans To Be or Not to Be, dès 1942. Avec l’aide de son scénariste Charles Brackett, complice de ses premières grandes réussites, Wilder fait preuve d’une intelligence éblouissante et parsème son film de dialogues à l’humour féroce. Marlene Dietrich, célèbre pour son engagement contre le nazisme, interprète avec sa classe habituelle une femme compromise avec le 3ème Reich, devenue la maîtresse d’un officier américain. Ses chansons et numéros de cabaret sont des réminiscences de son rôle dans L’Ange bleu, et évoquent sans fausse pudeur ni apitoiement le désarroi moral de toute une nation. »

On remarquera le culot de Billy Wilder d’avoir choisi Marlene Dietrich pour jouer l’ex-compagne d’un dignitaire nazi, elle qui avait quitté l’Allemagne puis combattu le nazisme dès le début des années 30, au point ensuite d’intégrer l'United Service Organizations (USO) et de partir « pour le front européen en avril 1944, chantant pour les troupes américaines et britanniques stationnées au Royaume-Uni, avant d'accompagner la 3e armée américaine du général Patton en Italie, en France puis en Allemagne et en Tchécoslovaquie pendant la campagne de libération, donnant plus de 60 concerts en quinze mois. » (Wikipédia). Wilder eut d’ailleurs beaucoup de mal à la convaincre d’accepter le rôle. Elle y est évidemment parfaite !

Cela n’empêche pas que Jean Arthur, qui interprète la députée Phoebe Frost1, nom ironique et évocateur, évidente héritière de la Ninotchka imaginée par le même Wilder pour Lubitsch, d’être à la même hauteur. D’abord totalement ridicule, à la fois rigide, puritaine, infantile, d’une insupportable bien-pensance et, surtout, totalement déconnecté de la réalité historique dans laquelle elle se trouve, elle finit par devenir touchante dans sa prise de conscience et sa transformation.

Billy Wilder considérait La Scandaleuse de Berlin comme un de ses films les plus réussis. On ne peut que lui donner raison car tout son art des contrastes s’y trouve : dialogues féroces et d’une grande drôlerie, tendresse, mélancolie, mais aussi cynisme, critique du puritanisme hypocrite, du politiquement correct, des faux-semblants.

Le film est édité chez Rimini en combo Blu-ray/DVD dans une excellente copie

1. Nom ironique et évocateur puisque Frost signifie « gel » en anglais.


Jean-Mariage
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il y a 6 jours

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