Film invraisemblable, sauvage, guerrier. Qui n'a peur de rien — ni de la poésie, ni du burlesque, ni de la psychologie, ni des sentiments, ni de la politique. Ni de Godard, ni de Truffaut, ni de Rivette, ni de Hitchcock, ni de Brecht. Les acteurs sont extraordinaires, d'une drôlerie, d'une bizarrerie, d'une sensualité folles. Comment Desplechin a pu faire une chose pareille ?
C'est curieux, j'ai aussi découvert Roubaix, une lumière que j'avais loupé à sa sortie et que j'ai découvert il y a quelques jours. Le film semble tout autant investi de désir qu'il y a 30 ans, mais ça ne marche plus du tout. Pourquoi ? Je crois que l'affirmation, périlleuse, du cinéma de Desplechin, c'est : le réel n'existe pas. Nous n'existons pas. Sauf qu'il y a, dans La Sentinelle, un véritable contrepoint : c'est la tête du mort, glissée dans la valise du héros pour que lui, l'étudiant légiste, observe cette tête, l'analyse, la prenne dans ses mains, la fracasse, en tombe amoureux. Cette tête est à la fois une métaphore, mais surtout une matière. A qui appartenait-elle ? Bon, ben il faut chercher. Nationalité, âge, groupe sanguin...Et cette quête, elle créée un truc qui n'existe plus dans le cinéma de Desplechin : des scènes qui s'étirent, qui s'installent dans la durée, où l'on sent le plaisir du cinéaste à filmer les prélèvements, la mâchoire qu'on décroche, le plomb qu'on retrouve dans les dents. La tête du mort est devenue le monde — en témoigne cette séquence où Mathias la cache dans une mappemonde, idée enfantine, simple et sublime (le monde, c'est les vivants et les morts, le passé fossilisé sous la terre, mais c'est surtout de la matière, rien que de la matière). Desplechin aurait pu devenir le grand cinéaste naturaliste que nous attendions en France, mais naturaliste au sens propre : le monde est un laboratoire scientifique, dans lequel il faut glisser ses mains. Comme ses personnages, sa haine de ce qui "sonne vrai" a fini par l'aveugler, et cette haine est devenue une peur. Aujourd'hui, Desplechin ne fait plus de scènes, ses films ne sont plus que de vagues idées de fictions flottant sans matière. Ce sont des films qui films refusent tout. La Sentinelle ne se refuse rien.