Bon, on va tout de suite mettre les choses au clair : ce n’est pas le fond qui m’a fait prendre mes distances à l’égard de ce film, mais clairement la forme. Oui, je suis d’accord : Bourdieu est un mec très intéressant. Est-ce que, pour le coup, cela mérite de se manger 2h20 de discours non-stop ? Je ne suis pas convaincu. Alors, après, je comprends la démarche qui consiste à s’effacer face à son sujet, à monter le moins possible, pour montrer son objet d’étude de la manière la plus véridique possible. De la part de Pierre Carles, s’effacer est un bel effort qui n’est pas dans ses habitudes, donc je pourrais presque le saluer pour cela. Seulement voilà, Carles est visiblement bien meilleur quand il s’agit de démonter ce qu’il condamne plutôt que d’encenser ce qu’il vénère. Car, à ne pas vraiment oser couper le maître dans ses interventions, on se retrouve avec un effet accumulatif et redondant pas très agréable. Quitte à se manger deux heures de socio par Pierre Bourdieu, n’aurait-il pas mieux valu se poser autour de deux micros et enregistrer un petit dialogue d’exploration initiatique de la socio ? Parce qu’au fond, le côté « combattant » au sein de la société est très rapidement illustré (et pas forcément bien illustré), donc à quoi bon s’étaler là-dessus ? En un montage de quelques secondes, Carles aurait pu suggérer le militantisme voyageur de Bourdieu. Pour le coup il aurait gagné en temps et en force. Seulement voilà, la peur de couper l’idole fait qu’en 2h20, on n’a finalement pas grand-chose, un simple ersatz de la pensée bourdieusienne. Pour donner de l’intérêt à ce documentaire, il aurait fallu le densifier, afin qu’au moins cette approche superficielle soit accessible. Alors oui, on peut vivre ça comme une trahison, un appauvrissement de la démarche du sociologue. Mais par définition, la seule chose qui ne trahisse pas ou n’appauvrisse pas la pensée du sociologue ce sont ses ouvrages. Non, ce film ne pouvait pas, de toutes façons, se substituer à la bibliographie de l’auteur. La trahison était nécessaire afin de restituer une autre image du bonhomme et de son travail, une porte d’entrée qui donne envie de creuser plus loin. Là, le cheminement intellectuel est tellement ralenti par le manque d’audace de la réalisation, qu’on a presque l’impression qu’au fond Bourdieu n’a pas tant de choses que ça à dire, que son travail est au fond assez superficiel et pas tant révolutionnaire que ça. Bref, pour moi ce film est raté, et pour le coup, c’est vraiment dommage…