On s'embrasse, on oublie tout. ( Non. )

Certains films provoquent un malaise. Non pas car ils sont dérangeants dans le propos, ou dans la mise en scène, mais parce qu'ils sont un arrière goût désagréable, un petit quelque chose qu'on ne peut pas expliquer dans l'immédiat mais qui nous pose problème. La Sociologue et l'Ourson a été de ces derniers pour moi. Pour autant, même si j'en tire un sentiment assez ambiguë, j'aimerais tout de même dire que je ne le trouve pas "à jeter", loin de là.

En réalité, j'étais même assez emballé par l'idée de ce documentaire ! Un sujet qui me tient à cœur, la cause LGBT, et plus précisément le "mariage pour tous" qui a fait grand bruit il y a quelques années, avec une lecture sociologique. D'autant plus que la sociologie a un statut un peu étrange, on pense la connaitre car nous baignons dans le social, mais pour autant, elle peut rapidement donner l'impression d'être assez absconse. Une terminologie compliquée ( Structure structurée structurante, yey ! ), les chiffres partout, des concepts qui peuvent paraître agressivement compliqué. Des initiatives visant à la rendre plus accessible sont toujours bienvenues, et d'une certaine façon, c'était un des objectifs du travail des réalisateurs.
Et ce, avec une classe notable ! L'utilisation des peluches et d'un peu d'humour pour parler de sujets qui peuvent paraître déjà connus et donc peu excitants intellectuellement est une bonne idée. Et selon moi, une idée qui fonctionne. Ce documentaire a un cachet qui sert une approche assez pédagogique. Dans la forme, c'est agréable à suivre, bien rythmé sans être réellement enfantin. Mettre en scène la sociologie par un contact amical, doux, n'est pas une mauvaise idée.
Quel est le problème, alors ? Nous avons une sociologue connue à qui on donne l'occasion de d'exposer son travail scientifique de façon simple et directement accessible à n'importe qui. Que demande le peuple ?

Alors, pour le peuple, je n'en sais trop rien. Moi, j'aurais aimé de l'honnêteté. La Sociologue et l'Ourson ne met pas en avant n'importe quelle sociologue, il est question d'Irène Théry. Cette personne est assez connue, et ce, même hors de la sphère de la discipline sociologique. Elle apprécie les médias et de manière générale, ces derniers l'apprécient aussi, ce qui n'est pas un problème, en soi. De plus, à côté de sa carrière scientifique, elle tend de temps à autre à prendre position en tant que militante, ce qui n'est toujours pas un problème. Son domaine est celui de la sociologie de la famille et celle du droit, alors qui de mieux qu'elle pour nous éclairer sur ce débat qui aura impliqué ces deux champs ? N'est-elle pas la parfaite personne pour nous en parler ?
Et c'est là que nous arrivons à ce que je reproche au documentaire : Ce qu'il dit, ce qu'il montre d'Irène Théry. Sans trop la connaître, on peut facilement y voir une scientifique qui utilise le produit de ses recherches pour prendre position en tant que militante. Une alliée de premier ordre pour la défense des droits des homosexuel.les. On l'imaginerait bien, rainbow flag dans une main, son dernier bouquin dans l'autre partir à la charge contre la clique à Frigide ! Je m'égare. Le fait étant, l'image de Théry, pour peu que vous soyez sensible à la cause LGBT, est sans équivoque.
Mon utilisation si subtile de l'ironie ne laisse que peu de doutes. Je trouve cette représentation malhonnête. Certains des arguments utilisés par la Manif' pour Tous ou ceux opposés au projet de mariage pour tous ont en réalité parfois été ancrés dans l'imagerie française par Théry.

Je vous demande de retourner durant la décennie des furbies, les années 90. Durant cette période, l'ourse n'avait pas à cœur de permettre aux homosexuels d'accéder au statut de parent, ou même de leur faciliter la vie via le pacte civil de solidarité. Contre tout cela, elle était opposée. Durant le documentaire, elle survole le fait qu'elle a pu être contre la PMA/GPA. Peut-être. Mais ce n'est pas là-dessus qu'elle a fait peser son poids d'intellectuelle, ses prises de positions ont probablement ralenti l'accès à ce même mariage pour tous qu'elle semble vouloir de tout son cœur durant un peu plus d'une heure.
Cela n'est pas questionné durant le documentaire. Pas une seule fois. La façon dont la sociologue nous est dépeinte ne laisse pas la place au doute, à ses convictions passées. Pourtant, ne serait-ce pas intéressant de connaître l'évolution de la représentation de l'institution famille pour elle ? Comment elle a pu changer ? Montrer que même une intellectuelle aussi connue qu'elle a pu évoluer sur un sujet si sensible sans forcément être désavouée aux yeux des autres ? Non. Le choix fait est celui d'une idéalisation de la pensée et des positions de Théry qui tient presque de la réécriture de son propre roman personnel.

Peut-être qu'Irène Théry a changé. Je n'en sais trop rien pour tout dire. Mais en la mettant en avant sans prendre soin de remettre en question ses positions passées, ce film en fait une "héroïne" de la cause LGBT. Cela, mêlé à la tendance du documentaire à ramener les premiers concernés soit à une foule, soit aux "potes gays d'Irène", on frôle la tentative de réappropriation. Je ne dis pas par là qu'étant donné qu'il y a vingt ans, elle n'allait pas dans le sens des luttes pour les droits des homo', elle doit être bannie à vie du débat. Mais ce documentaire est bien trop personnel pour se passer d'une critique sans passer pour malhonnête.