La Solitude des nombres premiers par Teklow13
C'est le récit d'une reconstruction. Un puzzle dont il s'agirait d'assembler les pièces une à une. Certaines s'emboitent parfaitement, d'autres s'accrochent.
La première pièce posée, celle qui donne le ton et la couleur au cadre, celle qui ouvre le film, est une séquence placée sous un fantasme Argentien. On y voit un spectacle scolaire d'enfants, une pièce de théâtre. Tout y évoque le maître du giallo, de l'utilisation du son, et de la musique (tirée directement d'un de ses films), le montage, la saturation des couleurs.
On est dans Suspiria, dans Profondo Rosso, dans Phenomena (surtout plus tard).
La dernière pièce posée, celle qui remplie le cadre, la dernière scène, évoque elle Antonioni, l'Avventura.
Partir d'Argento pour finir sur Antonioni relève d'un fantasme de cinéma.
Pourtant le film est tout sauf un bête travail de copieur. Le choix de ces séquences préétablies se justifient et permettent de donner au film sa peau et sa chair. Le film peut effectivement se voir comme la rencontre entre ces deux grands cinéastes. Il démarrerait avec l'enfance, ses peurs et ses blessures, morales, physiques, durables, douloureuses. Des thèmes empruntés à Argento. Le réalisateur l'évoquant aussi sous formes de figures et d'effets de style chers au cinéaste. Le regard, la peur de l'arme blanche, celle qui glace et tranche la chair.
Et le film se conclurait sur un thème purement Antonionien, l'incommunicabilité.
Ce puzzle que tente de reconstruire les deux personnages, Mattia et Alice, mais également le spectateur, se découvre au milieu du film. Comme un point d'orgue, Isabella Rossellini, la mère de Mattia, emballe un paquet cadeau. C'est un puzzle, encore un, pour un ami de Mattia. A ce moment du film où assez de pièces ont été disposées pour permettre d'en apercevoir l'image générale, l'idée d'offrir indirectement au spectateur et à Mattia ce cadeau, cette « surprise » s'accompagne d'un effet d'une atroce cruauté. La cruauté de l'enfance, qui reste et marque à jamais.
Ce portrait de deux électrons libres, décrochés du noyau, qui s'attirent et se repoussent, de l'enfance à l'âge adulte est assez bouleversant. Le film déborde, tente, propose, tout en restant juste et fin. C'est d'une grande force de cinéma et c'est peut être un grand film.