J'ai voulu avant de voir prochainement le mastodonte Eros+Massacre m'imprégner du style de Kiju Yoshida. C'est chose faite par l'intermédiaire de La Source thermale d'Akitsu, l'un de ses premiers films (1962). Il raconte l'histoire d'un amour impossible s'étendant sur plusieurs années entre un homme, Shusaku, et une femme, Shinko (Mariko Okada), de la défaite du Japon en 1945 jusqu'au début des années 1960.
Formellement le film est irréprochable. Cadré à la perfection sans pour autant céder aux facilités de l'académisme, Yoshida compose ses plans pour faire de l'auberge d'Akitsu un endroit d'où la caméra observe, conservant toujours une certaine distance avec les personnages qu'elle suit et laisse vivre. Le cinéaste travaille en outre avec les cloisons, les ombres et les lumières comme pour mieux signifier les séparations induites par les conventions sociales japonaises. On sent déjà poindre dans la façon osée de filmer la nuque d'Okada ou les embrassades fougueuses du couple les premiers signes du relâchement des mœurs bientôt acté par la Nouvelle Vague au pays du Soleil Levant.
L'histoire, simple et à la longue répétitive n'est sans doute pas la plus grande force du film (tout comme sa musique, elle aussi très redondante et douloureusement omniprésente dans la plupart des scènes). C'est davantage le regard que porte Yoshida sur la société et sur la femme japonaise qui retiendra l'attention du spectateur aux aguets. Le film s'ouvre en effet sur la capitulation du Japon en 1945. Un événement qui pour Shinko est traumatique, au point où elle en vient à presque se suicider avec Shusaku, lequel, malade et déprimé après que son village a été détruit par les bombes des Alliés, a complètement perdu goût à la vie. Mais les actes ne suivent pas les paroles, et c'est finalement l'espoir et la renaissance qui l'emportent sur le désir des amants de mettre fin à leurs jours, symbole d'un Japon vaincu mais prompt à se relever pour renaître différemment.
Okada incarne une femme tiraillée entre deux pôles : celui de l'amante, soumise et quasiment réduite à l'état de fétiche par un homme marié ne la revoyant périodiquement que pour étancher son propre désir, et celui de la femme indépendante, célibataire, gérante d'une affaire. Shinko encaisse, se refuse à se laisser aller à la colère, à l'hystérie ou à la jalousie. Superbe, elle se réfugie dans le cimetière de ses souvenirs, de cet autrefois où les deux êtres n'ont presque fait qu'un, lorsque les affres de l'Histoire les ont fait se rencontrer et s'aimer. Un passé idéalisé, sanctuarisé dans lequel Shinko s'abandonne toujours plus avant, à l'inverse d'un Shusaku refusant de regarder en arrière. Le refus du mariage, la gestion par elle-même de l'auberge à la mort de sa mère sont autant d'éléments qui plaident en faveur d'une lecture féministe du personnage joué par Okada, que l'actrice, avec son visage atypique et ses yeux de chat (qui ressemblent je trouve à ceux d'Elizabeth Taylor) vient sublimer par son jeu étonnamment moderne, respectable et digne.
Une trajectoire de vie radicale dont la conclusion vient cependant nuancer la beauté indéniable... symbole de passions trop difficiles à réprimer, effets destructeurs de la tradition revenant à la charge, ou limites du souvenir aliénant et finalement mortel ? La porte reste ouverte à de multiples interprétations.