S'il ne s'était agi d'Orson Welles, La Splendeur des Amberson aurait sans doute laissé paraître un tout autre visage. Il faut dire que le successeur du mythique Citizen Kane avait largement de quoi se brûler les ailes : un réalisateur et scénariste courant plusieurs lièvres à la fois, une amputation brutale de l'ordre de quarante minutes et un montage piloté en solo par Robert Wise, selon des instructions limitées et expédiées à distance. Mais c'était sans compter le génie précoce et velléitaire du futur architecte de La Soif du mal, capable de caractérisations sophistiquées, presque tragicomiques, et de plans étourdissants, souvent en avance sur leur temps.


Se basant sur un roman de Booth Tarkington, La Splendeur des Amberson met à nu l'Amérique des rentiers et des notables, en perte de vitesse au moment où émerge la révolution industrielle, symbolisée par l'apparition de l'automobile et le sacre des entrepreneurs. Sur des partitions inspirées de Bernard Herrmann, on observe le passage du temps et les mutations sociétales dont fera les frais l'antihéros George Minafer, personnage tragique et presque théâtral, passant en quelques ellipses d'une enfance capricieuse aux réceptions ostentatoires, avant d'être menacé par la banqueroute. L'Amérique industrielle s'apparente pour lui et sa famille à une fin de règne désespérée et inattendue. Son mépris des classes populaires, immortalisé dans la première partie du film, trouve ironiquement écho dans l'aveu déchirant de sa tante, désormais sans le sou ni la moindre perspective. Les riches d'hier, par paresse et vanité, sont condamnés à devenir les pauvres de demain.


Si La Splendeur des Amberson a partie liée avec les intrigues amoureuses et familiales, c'est pour mieux sonder ces existences inassouvies qui s'évaporent peu à peu à mesure que les séquences défilent, sous la contrainte des inaccomplissements amoureux, des veuvages multiples, de valeurs anciennes partant en fumée ou du poids étouffant des conventions. Orson Welles n'entend pas épargner ses héros, nantis bouffis d'orgueil au crépuscule de tout, et surtout d'une condition sociale des plus flatteuses. Et s'il ne semble pas tout à fait à la mesure de Citizen Kane, La Splendeur des Amberson possède néanmoins quelques atouts à ne certainement pas négliger : un casting très réussi (Joseph Cotten, Anne Baxter, Tim Holt...) ; une photographie soignée et des éclairages contrastés, dus à l'excellent Stanley Cortez ; une inventivité permanente ; des plans-séquences tirés au cordeau ; des travellings latéraux et des contre-plongées désarmants... De quoi asseoir un peu plus la réputation déjà fameuse du jeune Welles, quelques années avant son départ forcé vers l'Europe, dû à des problèmes fiscaux et au maccarthysme.


Critique à lire dans Fragments de cinéma

Cultural_Mind
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Le cinéma en podcast

Créée

le 6 avr. 2017

Critique lue 998 fois

20 j'aime

1 commentaire

Cultural Mind

Écrit par

Critique lue 998 fois

20
1

D'autres avis sur La Splendeur des Amberson

La Splendeur des Amberson
Cultural_Mind
8

La croisée des temps

S'il ne s'était agi d'Orson Welles, La Splendeur des Amberson aurait sans doute laissé paraître un tout autre visage. Il faut dire que le successeur du mythique Citizen Kane avait largement de quoi...

le 6 avr. 2017

20 j'aime

1

La Splendeur des Amberson
lessthantod
9

Le chef-d'œuvre inachevé d'Orson Welles

La Splendeur des Amberson s'inscrit dans la parfaite continuité artistique de Citizen Kane, un film d'art et d'essai hautement expérimental qui brille de mille feux par sa mise en scène. C'est aussi...

le 10 août 2021

13 j'aime

8

La Splendeur des Amberson
CREAM
7

Critique de La Splendeur des Amberson par CREAM

Le contrat signé avec la RKO stipulait que deux films pourraient être réalisés avec une liberté artistique totale : Citizen Kane et The magnificient Ambersons. Mais entre temps l'affaire William...

le 9 mai 2011

10 j'aime

4

Du même critique

Dunkerque
Cultural_Mind
8

War zone

Parmi les nombreux partis pris de Christopher Nolan sujets à débat, il en est un qui se démarque particulièrement : la volonté de montrer, plutôt que de narrer. Non seulement Dunkerque est très peu...

le 25 juil. 2017

68 j'aime

8

Blade Runner
Cultural_Mind
10

« Wake up, time to die »

Les premières images de Blade Runner donnent le ton : au coeur de la nuit, en vue aérienne, elles offrent à découvrir une mégapole titanesque de laquelle s'échappent des colonnes de feu et des...

le 14 mars 2017

62 j'aime

7

Problemos
Cultural_Mind
3

Aux frontières du réel

Une satire ne fonctionne généralement qu'à la condition de s’appuyer sur un fond de vérité, de pénétrer dans les derniers quartiers de la caricature sans jamais l’outrepasser. Elle épaissit les...

le 16 oct. 2017

57 j'aime

9