Joseph Goebbels avait détesté le film, le trouvant trop patriotique et l'avait reproché à Alfred Greven, directeur de la Continental-Films, société de production cinématographique française, mais financée et supervisée par l'occupant. Oui, La Symphonie fantastique est sorti pendant les heures les plus sombres de notre histoire. Et comme j'aurais voulu tant aimer ce film rien que parce qu'il était détesté par Goebbels. Mais non, je ne le trouve pas terrible.
Pas pour les mêmes raisons que le sinistre ministre de la Propagande, je vous rassure. D'ailleurs, je n'ai pas vu pendant les 90 minutes de film le moindre esprit patriotique. J'ai plutôt vu, dans ce biopic très romancé de la vie Hector Berlioz, une hagiographie. Il s'agit de montrer à chaque instant combien Berlioz était un géant, incompris par des médiocres, encensé par des grands.
Ne connaissant pas très bien la vie du compositeur, je ne ferai aucun commentaire sur la fidélité à la vérité historique. D'ailleurs, même si je l'avais bien connue, mes critères seraient restés les mêmes. L'important dans un biopic est ce qui est raconté (dans le sens, si cela a un intérêt ou non !) et comment c'est raconté (dans le sens de savoir si c'est bien raconté ou non !).
Ce qui est raconté est intéressant.
L'éternelle figure de l'artiste enragé, en avance sur son temps, ne respirant que l'artistique, s'élevant bien au-dessus des contingences matérielles et personnelles. Classique, mais efficace.
Par contre, comment c'est raconté, là, c'est autre chose.
On passe d'un coup, sans explication, à mi-parcours, par une des ellipses les plus maladroites que j'ai vue de ma vie dans un film, de Berlioz, méprisé, moqué et crevant la dalle à un type adulé par des milliers d'applaudissements, sans expliquer comment il est parvenu à atteindre ce sort beaucoup plus enviable, comment il est parvenu à atteindre enfin la gloire et le succès. Moi, ça m'aurait intéressé. Il n'y a rien de plus excitant et enthousiasmant que de voir un gros perdant, aux yeux de la société, devenir un gros gagnant, de voir ses premiers triomphes, même modestes et prenant, par la suite, certainement de plus en plus d'ampleur. L'ensemble nous prive de cela, c'est déplorable.
Ensuite, les personnages. Que ce soit bien clair, les acteurs sont excellents. Jean-Louis Barrault, particulièrement, assure à mort dans le rôle principal. Mais le casting aussi prestigieux soit-il ne peut éviter à lui seul des personnages secondaires sans consistance. On reste dans le schématique.
Bernard Blier n'est que le bon copain fidèle. Renée Saint-Cyr que la grande amoureuse dévouée qui ne pense qu'à se dévouer. Lise Delamare que l'épouse qui ne montre que, 24 heures sur 24, sa frustration d'être mariée à un artiste enchaînant les bides. Jules Berry, l'immense Jules Berry, est juste un éditeur de musique qui ne pense que pognon (ce qui est regrettable avec ce dernier, c'est qu'il a une ou deux répliques intéressantes montrant que son personnage est déchiré entre son porte-monnaie et le fait de savoir qu'il a affaire à un génie, mais ça n'est jamais exploité, alors qu'il y avait un bon truc ; c'est même complètement détruit par sa dernière apparition, le faisant juste apparaître comme un ridicule bouffon médiocre !).
La nuance, la complexité, tout ce qui a trait au caractère humain, le film ne s'en embarrasse absolument pas.
Conséquence de cela, dès qu'un conflit pointe le bout de son nez (à l'instar de celui opposant le père et le fils !), il se résout en un claquement de doigt, avec une facilité déconcertante.
Ah oui, Barrault est très vieilli après l'ellipse maladroite. Ils ont dû foutre tout le budget maquillage pour lui parce que visiblement, c'est à peine si Renée Saint-Cyr n'est pas une immortelle d'Highlander
(théorie infirmée par la mort très téléphonée de son personnage !).
Elle ne gagne pas une seule ride de sa première à sa dernière apparition (je précise que quand la future seconde épouse qu'elle joue rencontre son futur mari, ils sont tous les deux jeunes, avec sûrement à peu près le même âge !). Ce qui fait que dans la deuxième moitié, on a l'impression débile d'un vieillard qui vit en couple avec une jeunette.
De ce ratage, pour conclure sur une note positive (OK, je sors !), je sauve tout de même les séquences musicales qui impressionnent par leur gigantisme et par la maîtrise d'une caméra énergique et fluide qu'imprime un Christian-Jaque visiblement bien inspiré à ces moments-là. Le budget a dû exploser avec ça. Mention spéciale au concert en Prusse avec des centaines de figurants choristes et violonistes, dirigés par plusieurs chefs d'orchestre. Si le reste du film avait été à la hauteur, ça aurait déchiré et m'aurait donné une occasion de plus (rejoignant ainsi le brillant et puissant All Quiet on the Western Front !) d'aimer une œuvre d'art rejetée par le futur chancelier au plus court mandat de tous les temps.