Nicki: My name is - - Nicki.
Mitzi: Nicki - - what? I'll bet you have a name - - a kilometer long!
A Vienne, en 1914, le Prince Nicki von Wildeliebe-Rauffenburg est couvert de dettes. Ses parents souhaitent qu’il épouse une jeune femme infirme, fille de très riches commerçants. Mais il tombe entre temps amoureux d’une jeune harpiste pauvre, qu'il a rencontrée lors d'une cérémonie officielle impériale, le jour du Corpus Christi. Celle-ci est promise à un boucher rustre…
The Wedding March est un peu ce qu'aurait dû être Merry-Go-Round, tourné cinq ans auparavant, si un Irving Thalberg n'avait pas décidé de couper totalement l'herbe sous le pied du réalisateur Erich von Stroheim, en le virant en plein tournage, en le remplaçant par un yes-man bien terne et en faisant retourner une énorme partie de ce qui avait déjà été tourné.
Oui, donc, The Wedding March est un peu ce qu'aurait dû être Merry-Go-Round, parce qu'il y a le même genre d'histoire, à savoir un aristocrate qui rencontre, par un accident de la vie, une roturière avec coup de foudre réciproque en supplément (cette scène, prenant tout son temps, est superbe !), deux mondes opposés qui n'auraient jamais dû se croiser, le tout sur fond d'Empire austro-hongrois, qui vit alors ses dernières heures...
Là, vous vous dites que c'est dans les grandes lignes les mêmes films. Ben, non, absolument pas. Pourquoi ? Ben, parce que La Symphonie nuptiale, comme ne manque pas de le préciser d'ailleurs le générique d'ouverture, est un film entièrement réalisé par Erich von Stroheim et uniquement par lui. Et croyez-moi, ça fait une différence de très gros malade.
Un film entièrement tourné par lui, mais qu'il n'a pas pu tourner entièrement. En fait, le projet initial était un film en trois parties. La première est celle qui est aujourd'hui visible et que votre serviteur est en train de critiquer. La deuxième a été tournée, montée par la Paramount Pictures (qui l'avait rachetée puisque le producteur indépendant, Pat Powers, ne pouvait plus assumer le budget de plus en plus conséquent de l'œuvre !), désavouée par le metteur en scène et est sortie sous le titre The Honeymoon en 1930 en Europe, mais la seule copie connue de ce film a été réduite en cendres lors d'un incendie à la Cinémathèque française en 1959 (et quand on lit le résumé, que l'on peut trouver facilement sur Internet, de cette œuvre disparue, on a un gros sentiment de frustration, car ça donnait très sérieusement envie !). Et la troisième n'a jamais été tournée parce que la production a ordonné au cinéaste d'arrêter, de se contenter de ce qu'il avait déjà filmé pour que cela fasse deux films.
Oui, donc, une différence de très gros malade, parce que le perfectionnisme fétichiste absolu du Monsieur s'imprime sur chaque seconde de pellicule. Il ne manque pas le plus petit bouton de manchette. Une séquence de nuit d'une orgie dans un bordel ? Le Monsieur tourne réellement de nuit, avec du vrai champagne et des vraies prostituées. Le carrosse dans lequel monte l'acteur jouant François-Joseph lors de la cérémonie du Corpus Christi au début du film ? Ben, pourquoi aller prendre autre chose qu'un véritable carrosse ayant appartenu au vrai François-Joseph (récidive de ce qu'il avait déjà fait pour Merry-Go-Round !). Et il ajoute toujours le détail qui fait la différence, qui rend la scène mémorable.
Par exemple, la jeune protagoniste va se confesser dans la cathédrale. Pendant cette séquence, on voit un agent d'entretien qui enlève soigneusement des dalles les traces de cire laissées par les bougies fondues. C'est utile, absolument utile ? Non, indubitablement non, mais, il n'empêche, cela donne une authenticité inestimable à ce que l'on est en train de regarder. C'est ce genre de détails, d'apparence anodine, qui rend une œuvre plus vraie, plus vivante.
Et vous pensez, avec cette folie du détail, que lorsqu'on parle de procession impériale filmée en Technicolor bichrome, ça va être un régal pour les yeux ? Ben, c'est le cas !
Sur le plan de l'histoire, c'est à un von Stroheim beaucoup plus tendre que l'on va avoir affaire, avec de perçants éclairs de romantisme, à l'instar des rencontres des deux amoureux sous une pluie de pétales de pommier.
Le réalisateur s'est attribué le rôle principal du jeune prince sincèrement épris ; ce qui ne manque pas de donner un contre-emploi total dans son propre cinéma (les deux fois précédentes où il s'était dirigé, dans Blind Husbands et dans Foolish Wives, il jouait juste l’officier européen libidineux, sans la moindre once de morale, qui ne pense cyniquement qu'à fourrer des Américaines mariées et fidèles !). Il s'acquitte fort bien de son rôle, avec une belle distinction.
ZaSu Pitts est émouvante de sobriété en boiteuse douce et lucide, très consciente des choses qui l'entourent, malgré un comportement qui pourrait faire croire qu'elle est simplette.
Et le côté sordide du Monsieur dans tout cela ? Il est présent, peut-être pas d'une manière aussi putride que dans des films comme Foolish Wives ou Queen Kelly, mais il est présent.
Le fiancé de l'objet de la flamme du héros, joué par un Matthew Betz dont on a envie d'exploser la gueule dès qu'on le voit, est répugnant à souhait. C'est vraiment une incarnation mémorable du gros beauf vulgaire, sale, repoussant, brutal... beurk...
Et ils sont beaux ses costumes d'aristos et qu'est-ce qu'ils sont distingués ceux qui les portent. Ouais, ben non, car on a vu auparavant ces derniers dans leur lit, mal réveillés, ronchons, avec une gueule du matin, comme n'importe quel être humain normal, quand ils sortent des bras de Morphée, c'est-à-dire une tronche de terroriste, et, évidemment, avec une bonne mauvaise haleine.
Et une proposition de mariage de raison se conclue entre les deux pères des futurs époux, après une orgie, gueule de bois incluse, complètement affalés sur le sol, non sans que l'un des deux ait d'abord soigné un cor au pied en le nettoyant avec du (vrai !) champagne (folie du détail, n'ayant pas peur d'aller dans la crudité !).
Pas très glamour ! Ouais, mais ce qu'il y a de beau au milieu de cette crasse apparaît encore plus sublime, plus profond, plus marquant.
Et la jeune femme aimée du protagoniste ? Pas un mot sur elle jusqu'ici ! C'est tout simplement parce que je voulais garder le meilleur pour la fin.
La grande idée de génie de von Stroheim ici est d'avoir confié le rôle à une toute jeune et magnifique Fay Wray. J'ai toujours eu le béguin pour elle (comment pourrait-il en être autrement, il suffit de la voir pour en tomber amoureux !), mais là, je ne l'ai jamais eu autant. Le réalisateur la sublime à chaque fois qu'on la voit (avec une béquille, il ne parvient qu'à la rendre encore plus attirante !). Mais ce qui la sublime aussi, c'est son personnage. À mille lieues d'être une oie blanche attendant que son prince vienne pour la sauver (comme on aurait pu le craindre !), elle interprète une femme forte, encaissant avec courage les épreuves de la vie, pas avare en franchise, n'ayant pas peur de montrer ce qu'elle veut, aimant plaisanter, le tout avec une grâce incroyable. Oui, je suis amoureux.
Si une des futures premières scream queens de l'Histoire du cinéma ne pouvait que reconnaître que c'était King Kong qui lui avait assuré la postérité, elle ne cachait nullement que le rôle favori de toute sa carrière était celui qu'elle joue dans The Wedding March. Comment ne pas l'approuver à 100 % !
Pour (enfin !) conclure, je dirai simplement que ce film est un joyau absolu dans la carrière d'un des plus grands réalisateurs du muet, d'un artiste exceptionnel.