George Smiley est l'un des meilleurs agents du Cirque, le quartier général des services secrets britanniques. Récemment retraité, il est rappelé à l'ordre par le cabinet du Premier ministre. Le Centre de Moscou, leur ennemi juré, aurait un agent double infiltré au Cirque. Smiley est chargé de démasquer la taupe parmi ses anciens collègues.

Il est intéressant de voir ‘La Taupe’ juste avant ou juste après avoir vu ‘Un homme très recherché’ d’Anton Corbijn. Le film de Thomas Alfredson s'intéresse moins à la vie quotidienne d'un espion qu'à l'enquête elle-même. Ou plutôt à la mécanique de l'enquête. L'intérêt du film réside dans le fait qu'il s'agit d'un film sur la réflexion. Par définition, la réflexion est abstraite. Mais par un tour de passe-passe, le réalisateur parvient à rendre palpables à l'écran les réflexions et le cheminement intellectuel du personnage.

Cela passe par des projections mentales (on voit en images ce à quoi pense le personnage), mais surtout par le montage. L'enquête de l'espion est un puzzle intellectuel. Logiquement, le film est monté comme une série de pièces, qui n'ont pas de sens individuellement, mais qui prennent sens une fois assemblées. Il est intéressant de noter que Smiley est la tête pensante, qui réfléchit et s'interroge, alors que son assistant est au cœur de l'action.

Au montage des intrigues et des images, Thomas Alfredson associe une construction scénaristique très cohérente. Il y a un personnage principale (Smiley) et un second rôle (l’agent qui l’aide). Tous les autres personnages circulent brièvement ici et là mais ont tous droits à une ou deux grandes scènes. Comme autant de pièces qui se greffent encore au puzzle.

Mon analyse ne suggère pas que le film est purement théorique. Le film incarne parfaitement l'histoire et prend vraiment aux tripes car la tension est bien gérée. Même si l'enquête n'est pas le sujet principal du film, on est toujours pris par l'histoire et la résolution du film, sans trop en dire, est étonnante. Evidemment, ce qui fait pour beaucoup dans l’intérêt du film, c’est la Guerre Froide. Une période propice à l’espionnage, faite d’agents doubles voir triples et où l’ennemi est connu mais n'a pas forcément le visage d’un homme en particulier.

La représentation du MI6, dont l’image renvoyée par les films est souvent positive, en ressort écornée. L’institution est montrée comme poussiéreuse, dirigée par des hommes en costumes de tweed coupés des réalités géopolitiques. A ce titre, le bref échange entre Connie et Smiley est révélateur. L’ex-espionne y regrette ce qu’elle nomme « le bon temps », c’est-à-dire la Seconde Guerre mondiale où « L’ennemi avait un visage humain », celui d’Hitler en l’occurrence. Ce à quoi Smiley répond, consterné : « C’était la guerre ! ».

Même si le cinéaste est suédois, le film est terriblement britannique. Dans le meilleur sens du terme. Cela se traduit dans les dialogues toujours dans l’understatement, et donc jamais explicatifs. Mais cela se voit surtout dans la direction d’acteur. Les comédiens sont tous excellents. Gary Oldman est étonnant et livre une interprétation impassible, froide à l’opposé de ses précédentes incarnations très nerveuses. Kathy Burke a une jolie gouaille. Mark Strong la joue très sombre et en même temps très émotif. On le sent détruit de l’intérieur par ses années au Cirque. Et puis, il y a Colin Firth. Sans doute le meilleur acteur du monde et dont l’interprétation est ici remarquable. Derrière le personnage qui garde la tête froide, se cache un homme qui se révèlera très sensible dans une scène bouleversante.

Faisons un clin d'œil à un terme dont les distributeurs abusent sur les colonnes de Morris : chef-d'œuvre. Le film de Thomas Alfredson est une perfection du début à la fin. Dans le montage, l'écriture, la photographie et la direction des acteurs.

Noel_Astoc
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le 23 juin 2024

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Noel_Astoc

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