Dernier film britannique d’Alfred Hitchcock avant son départ outre-Atlantique, « Jamaica Inn » se traîne une sale réputation… Il fut tout d’abord critiqué par Daphne du Maurier, l’auteure du roman dont il est tiré, qui le trouvait trop éloigné de son œuvre. A tel point qu’elle envisagea de bloquer les droits de son roman « Rebecca », le film suivant de Hitchcock ! D’ailleurs, le titre VF de l’époque est révélateur, ayant été carrément modifié par rapport à celui du roman.
Et Alfred Hitchcock lui-même a confié à plusieurs reprises qu’il était déçu du résultat final ! Voilà qui laisse craindre le pire avant un visionnage…
En réalité, votre expérience de « Jamaica Inn » va dépendre de la manière dont vous le considérez. Si vous vous attendez à un film à suspense digne des plus grandes œuvres du maître, vous serez déçus. Si vous vous attendez à un film d’aventures en costume, le visionnage sera plaisant.
L’intrigue se situe au 19ème siècle, en Cornouailles (reconstituées en studios). Une orpheline irlandaise débarque chez sa tante, dans la taverne Jamaica Inn (qui a réellement existé, et est encore aujourd’hui sur pied !). Rapidement, elle se rend compte qu’elle a en fait mis les pieds dans l’antre d’une bande de naufrageurs…
Le point le plus régulièrement discuté du film est le rôle de Charles Laughton. En effet, l’acteur était aussi coproducteur, et a souhaité apparaître le plus possible à l’écran, interférant fortement avec le travail de Hitchcock. Ce qui explique son interprétation haute en couleur, assez amusante. Et un point clé du scénario : son vrai rôle de chef de la bande de naufrageurs est révélé dès les premières scènes, alors que Hitchcock voulait ménager le suspense plus longtemps.
J’ignore ce qu’aurait donné le film si le réalisateur avait eu les coudées franches. Et je dois avouer que oui, le film privilégie en conséquence l’aventure au suspense. Mais ce choix narratif permet aussi quelques trouvailles de mise en scène, notamment dans le dernier acte où le spectateur sait quelque chose que nos héros ignorent. L’occasion d’injecter un peu d’humour noir.
Pour le reste, le film se tient sans problème. Des décors sombres et réussis, des situations inquiétantes qui fonctionnent. Et quelques scènes fortes, dont un naufrage introductif assez spectaculaire et violent pour l’époque !
Et malgré les réserves de Daphne du Maurier et Hitchcock, le film fut un carton en son temps… confortant l’arrivée du master of suspense aux Etats-Unis ?