Magnifié par la photographie mémorable de Graziati (La belle et la bête de Cocteau, entre autres), La terre tremble, chef d’œuvre du réalisme italien, s'inscrit dans la phase communiste du jeune et noble Visconti qui a su trouver dans le roman du naturaliste Verga (l'équivalent de notre Zola national) un récit à la hauteur du drame social vécu par le peuple italien, ici représenté par le microcosme particulier d'un village de pêcheurs, à Aci Trezza en Sicile.
Divisé clairement en deux temps (l'ascension puis la chute), La terre tremble, surtout dans sa première partie, nettement plus maîtrisée, fascine, trouble, nous remue à l'intérieur, nous fait vibrer et trembler par sa grâce et sa beauté glaçante, les clairs/obscurs et les cadrages de Graziati y contribuant fortement, en plus de la force dramatique de la réalité dévoilée nue par, si l'on peut dire, le regard objectif de Visconti. Celui-ci surprend par l'innovation, encore si actuelle artistiquement parlant, de l'hybridation des genres en réalisant un film se situant entre documentaire et fiction, la frontière entre les deux s'effaçant souvent, en partie grâce aux personnages, vrais habitants du village, vrais pêcheurs, vrais pauvres, vrais siciliens s'exprimant en dialecte inintelligible pour le reste de la péninsule, vrais acteurs de leur propre vie misérable, et grâce aussi à leurs dialogues sans artifices, librement improvisés à partir de canevas pré-définis.
Néanmoins, dans un deuxième temps, Visconti renie cette liberté de mouvement et de paroles concédée d'abord à ses acteurs et leur impose un jeu artificiellement lent, solennel, pathétique, rappelant presque une certaine danse contemporaine, ne seyant guère au propos. De plus, l'intensité dramatique faiblit nettement, là où paradoxalement elle aurait pu atteindre son acmé, et Visconti passe d'un regard de compassion, très juste, à celui de commisération, trop surchargé en émotion (la scène, très mal jouée, où 'Ntoni pleure de désespoir en est l'exemple). Dommage, car sans cela, le film aurait frôlé la perfection.