Malgré son ouverture hypnotisante (travelling avant sur la mort qu'incarne comme une menace une guillotine dressée sur fond noir) et son final grandiose, La Tête d'un homme n'est probablement pas le meilleur des films de Julien Duvivier.
Il est une dissection assez scolaire du genre du polar et plus précisément d'une enquête policière, par l'exposé de ses étapes obligatoires et chronologiques ; contexte et motif du crime, réalisation de celui-ci, fuite du suspect, étude de la scène de crime, enquête (superbe trouvaille du fondu entre les lieux d'investigation), interrogatoire, reconstitution, doutes, filatures, ... Cela peut sembler assez classique, et austère lorsqu'on sait de plus l'histoire adaptée d'un roman de Simenon et son fameux Comissaire Maigret.
Le film subit donc un rythme souvent plat, pas toujours finement écrit (pensant créer une ambiance en espaçant à l'extrême les répliques, et se répétant en surexplications à de trop nombreuses reprises), et inégalement interprété, pourtant intéressant dans son idée d'une justice qui pense justement pouvoir pour chaque enquête appliquer le même schéma et dérouler le même engrenage, sans étudier la spécificité de chaque crime, et bien plus à la recherche de coupable que précautionneuse quant à ses potentielles erreurs (qui le cas échéant seront fatales, puisqu'il en va justement littéralement de la tête d'un homme).


La tête d'un homme est admirablement plus brillant lorsqu'il se consacre justement sur la deuxième lecture qu'on peut faire de son titre, se concentrant sur l'âme d'un meurtrier, à la fois étranger marginalisé, amoureux éperdu et mort en sursis. Il dresse alors, comme c'est la mode à l'époque (pensons à M le Maudit sorti quelques temps plus tôt), le portrait d'un homme dont la folie meurtrière est plus la conséquence d'une société qu'un choix. En Radek, Valéry Inkijinoff est assez incroyable, tour à tour émouvant, terrifiant ou admirable de malice. Maigret, interprété par un Harry Baur pas très inspiré, passe véritablement au second, voire troisième plan (il n'apparaît que tard dans le récit et, contrairement à Juvet dans Quai des Orfèvres, sans grand effets ni présence imposante).


Ainsi, malgré un gros ventre mou, Duvivier sauve son film, notamment par son final remarquable, qui dresse le portrait d'une société avide de spectacle et de mort (l'ouverture sur une guillotine et la fin sur une marée humaine oppressante désireuse de la mort de l'assassin), aveugle de sa propre folie meurtrière qu'elle incarne pourtant elle aussi (ce qui rappelle, là encore, M Le Maudit, indétrônable chef-d'œuvre du genre).
On saluera aussi la mise en scène brillante de Duvivier, décidément particulièrement à l'aise avec les intérieurs exigus, qu'il cadre et met en lumière comme personne. Le film contient son lot d'expérimentations visuelles et d'images exceptionnelles qu'on aurait jamais juré datées de 1933. On pense notamment à la scène de découverte du corps qui en plus d'être assez violente pour l'époque (l'image du corps sanguinolant est marquante), est un bijou de maniement de caméra (travellings avants et verticaux, sens du cadre qui devance l'action comme pour mieux en désactiver le potentiel spectaculaire, regards caméras terrifiants), et vaut à elle seule la découverte de ce film, certes non exempt de défauts, mais formellement maitrisé.

Charles_Dubois
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le 11 févr. 2021

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Charles Dubois

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