La confiance et l'abandon
Petite surprise, tournée en urgence avec peu de moyens par une cinéaste en herbe (24 ans) fraîchement émoulue de son école. Après l'encore plus jeune Xavier Dolan et son « J'ai tué ma mère », on peut dire que Jonathan Zaccaï et Vincent Lacoste n'étaient peut-être pas si loin du compte quand ils critiquaient les nouveaux petits génies du cinéma. Soit, qu'importe, au moins pour cette fois ! Parce qu'il faut dire que « La tête la première » donne envie, d'abord par son casting de bon goût, qui lance Alice de Lencquesaing à la poursuite d'un mystérieux bonhomme incarné par Jacques Doillon. On est entre guillemets dans la bonne frange du cinéma d'auteur francophone, versant Mia Hansen-Love, simple et fort, un peu niais aussi, sans doute, avec ses héros vus et revus, ses dialogues un chouïa surécrits. Pourtant ça fonctionne car l'essentiel, lui, n'est pas simulé : la jeunesse, la spontanéité qui font vivre le film d'une énergie naïve mais réelle. Classique, le film l'est, de bout en bout. Deux tourtereaux improvisés sillonnent une campagne paisible, ratissent les bars et les gares, se perdent en forêt et chapardent chez les gens. Pendant une heure et demie, le jeune couple joue à je t'aime moi non plus, l'occasion pour la réalisatrice de lancer des répliques sentencieuses par paquets de douze. Si l'écriture est parfois exagérée, les acteurs sont souvent impeccables, et les ruptures de rythme occasionnées par certains dialogues trop appuyés sont touchants par la ferveur même qu'y mettent leurs interprètes – il faut voir, notamment, la séquence où Alice de Lencquesaing annonce qu'elle « adore baiser, avec des filles et des garçons ». Le road-movie appelle régulièrement en renfort la sainte Thérèse de Lisieux, sorte de muse pour les personnages et pour la cinéaste elle-même qui maintient naturellement le cap vers une sorte d'innocence, de pureté qui cadre bien avec ses acteurs et son sujet.
Bienvenue au terroir, donc : « La tête la première » revendique la vérité. C'est souvent la même chose avec le cinéma d'auteur francophone, mais à l'instar des autres femmes qui ont dirigé Alice de Lencquesaing, Amélie van Elmbt parvient réellement à capter quelque chose. Car oui, il y a définitivement quelque chose dans les rires de cette fille, dans ses grands yeux étonnés et ses cernes un peu accentuées, une sorte de condamnation à la spontanéité qui parvient à toucher même dans ses moments d'hésitation. C'est toujours la même actrice qui rattrape le coup, car avec elle même une réplique trop lourde est jolie ; même une scène ratée est touchante – et il y en a. Maïwenn, Hansen-Love ont exploité à merveille le talent de Lencquesaing. Ici, le récit menace souvent de s'écrouler tant la réalisatrice, à l'évidence passionnée par son sujet, s'évertue à en exploiter toutes les facettes, au risque de rebattre pas mal de poncifs. C'est un condensé de caractères qui habite les personnages du film, ce qui en fait sa force et sa limite. Sa force, car la schizophrénie ambiante (à moitié voulue) colle avec le discours du film, plus profond et subversif qu'il n'y paraît, où l'image du père et de l'amant se confondent dans un vertige subtil ; sa faiblesse, car même avec toute la bonne volonté du monde on peine à adhérer à cet amour de jeunesse, presque trop incarné pour être vrai. A l'arrivée, « La tête la première » n'est pas tout à fait un bon film. Il est pourtant attachant, car animé de la même énergie juvénile et cultivée de chaque côté de la caméra : celle de faire du vrai cinéma, trop généreux pour être cohérent, trop passionné pour être critiqué avec la virulence qu'il mérite peut-être.