La Tortue Rouge est arrivé, tout en finesse et avec une certaine attente. Michaël Dudok De Wit nous offre un spectacle renvoyant à la primitivité de toute chose, simplement en suivant les traces d'un homme voué à survivre sur une île déserte. Tout le projet se situe autour d'un dialogue image-son à la fois juste et léger. Sans paroles, le film dégage une aura qui lui confère un rapport particulier avec l'histoire dans son ensemble. Pourtant, rien ne semble complexe dans ce scénario aussi franc que poétique. La pure confrontation de l'Homme face à la nature, un rappel de sa condition et un retour aux origines, à ce qui, finalement, importe le plus au cours d'une vie. Car au fond, de quoi l'Homme a t-il réellement besoin pour vivre, quelles nécessités a t-on, si ce n'est que de boire, manger, dormir et cultiver des relations avec des semblables..?
Le film de Michaël Dudok De Wit met l'accent sur ce genre d'interrogations simples et naïves mais pourtant fondamentales. Très vite, nous nous rendons compte que le personnage principal, naufragé silencieux, s'acharne à quitter l'île en vain, repoussé par la Tortue Rouge, qui intervient comme un esprit ou une présence divine, tel un animal totem amérindien, ou encore un mythe grec (qui met souvent en scène des héros, des animaux et la question de métamorphose au centre de son intrigue). Le personnage a besoin d'un apport supplémentaire, il a besoin de partager ses peines, ses rires, ses souffrances et ses péripéties... La Tortue se métamorphose; dans sa carapace y naît la Femme.
Non sans rappeler le mythe du jardin d'Eden, le couple de personnages anonymes déambule à travers la jungle, se suffisant chacun l'un à l'autre, illustrés face à des paysages grandioses aux teintes et aux ambiances uniques, sublimés par une bande sonore traduisant parfaitement ces espaces. L'Adam et l'Eve vivent, écoulant goutte à goutte le temps. Leur existence défile sous nos yeux, c'est de toute beauté. Sentiments intuitifs, apprentissage de la vie, éducation de l'enfant,... Tout ceci avec des images fortes, poétiques, qui allient l'esthétique de la bande-dessinée au savoir faire du Studio Ghibli, mené par Isao Takahata, acolyte de Monsieur Miyazaki.
Derrière un message puissant, alors que pourtant dénué de langage, La Tortue Rouge se veut riche de bruitages et de scènes qui parlent d'elles-mêmes. Cela n'en reste pas moins une biographie pleine d'amour, très contemplative, et qui sait prendre son temps malgré sa courte durée. A nul instant l'air ne manque, la poésie se laisse savourer du début à la fin. Michaël Dudok De Wit a su faire des choix judicieux, se consacrant pleinement à œuvrer sur une gestion originale et des modes d'expressions incroyablement sincères. Le défi est pleinement relevé, et j'en ai été bouleversé.