Michael Dudok de Wit est un artisan consciencieux.
Et pour qui a déjà vu ses magnifiques courts-métrages Le moine et le poisson (1994) et surtout le bouleversant Père et fille (2000), l'attente vaut amplement le coup. C'est que De Wit prend son temps : Pour soigner l'histoire, y faire émerger l'émotion sur de petits riens de la vie, pour mettre en scène presque tout seul ce qu'il porte en son coeur. Ce fut payant puisque Isao Takahata, voyant le second court, n'hésite pas à lui proposer, sous l'accord de Toshio Suzuki, de réaliser directement un long-métrage produit par le studio Ghibli. Pourtant, en nous racontant son anecdote lors de l'avant-première du film hier soir à l'UGC des Halles, difficile d'imaginer que celà prendra alors plus d'une décennie. Ayant carte blanche de Takahata tant sur l'histoire que le graphisme et la mise en scène, de Wit, aidé par la talentueuse et sensible Pascale Ferran va alors commencer à mettre en chantier La tortue rouge. Le film est finalement devenu une coproduction Franco-japonaise avec Ghibli d'un côté, Wild bunch et arte de l'autre. Mais De Wit conserve une totale liberté.
Et ça se sent à l'écran, ça se vit.
Le graphisme, fluide, s'inspire d'une esthétique à la Hergé et Bob de Moor, donc très ligne clair, mais avec un souci du détail qui perce derrière l'apparente simplicité du trait. Ce sont ses décors, de forêt de bambou d'où perce la lumière du couchant, ces nuages délavés qu'on jurerait parfois issu des aquarelles de Turner, ces rochers dont on sent l'aspect complètement minéral. Et si l'on ne peut s'empêcher de penser à la série d'animation mythique tirée de Tintin dans les années 90, celà se limite uniquement aux visages, les vêtements, éléments de la nature et mouvements ayant presque leur vie propre.
Dans les faits, le réalisateur prend le pari d'illustrer une histoire simple, celle d'une vie, pleine et riche avec ses hauts et ses bas. Derrière les métaphores poétiques apparentes, la solitude du personnage perce allègrement, ses propres problèmes de survie, mais sans jamais que le trait ne soit forcé lourdement. Il n'y a aucune parole échangée du long, juste quelques onomatopées qui traduisent parfaitement les différents états d'esprit de notre Robinson Crusoé avant, pendant et après sa rencontre avec la fameuse tortue rouge. C'est de l'épure à l'extrême, lent, presque contemplatif et très proche dans le fond du superbe L'île nue de Kaneto Shindo. Inutile donc de dire qu'on pourra adhérer au voyage ou en être lassé devant le peu d'action sur un film qui choisit de mettre en valeur des choses simples.
Et pourtant si on accroche à l'oeuvre, quel voyage ! Coup de coeur.