Basé sur un fait réel survenu en 1906, intelligemment transposé en 1919, juste après la guerre, La Tragédie de la mine est un vibrant plaidoyer pour l'amitié entre les peuples. Avec un petit côté "l'Internationale sera le genre humain" bien de l'époque. "Pabst le rouge" a toutefois le bon goût de ne pas sombrer dans le manichéisme : les patrons ne sont pas des salauds indifférents au sort de leurs ouvriers. Les flics ne sont pas des fachos. Pabst se contente d'exalter ce qu'il y a de meilleur dans le genre humain : la solidarité, la compassion et le courage.
Le film commence par nous faire ressentir l'antagonisme franco-allemand d'une façon douce : deux gamins se disputent des billes, un Allemand se voit refuser une danse dans un troquet, la frontière française refuse de laisser passer des chômeurs allemands. Rien de choquant, mais les traces de la "drôle de guerre" sont bien là, perceptibles.
Puis ce sont des scènes dans la mine, superbement filmée, et le drame qui survient, addition du feu et du gaz. Flamme jaillissant ; fumée envahissant l'écran ; opacité trouée de faibles lueurs ; labyrinthe qui s'effondre et craque de toute part sous l'effet de la chaleur ; cabine s'enfonçant dans la terre chargée de sauveteurs. En dessous, pris au piège, des hommes. Pabst entend filmer l'Histoire, à la manière d'un Eisenstein, mais il n'est pas Communiste : quelques destins individuels vont donc affleurer. Françoise, qui s'angoisse pour son frère Jean et son amoureux Emile ; un mineur retraité qui part à la recherche de son petit fils Georges ; le trio d'Allemands vu au troquet qui va faire éclater la frontière souterraine dans l'espoir de retrouver des survivants... Et puis le mineur allemand qui a déclenché le sauvetage, aux prises avec un Français qui, dans un délire, le prend pour un ennemi sur un champ de bataille.
La Tragédie de la mine est un film de frontières : frontière entre France et Allemagne bien sûr ; frontière entre les hommes, qui s'activent pour sauver ce qui peut l'être, et les femmes, impuissantes, agglutinées derrière la grille de l'usine ; frontière entre le dessus, baigné de soleil, hérissé de cheminées, et le dessous, sombre, galeries inquiétantes. Toutes ces frontières explosent dans une scène d'allégresse où les mineurs des deux côtés affirment leur unité. Elles seront toutefois reconstituées dans la scène finale, annonciatrice de nouveaux conflits à venir.
On pourra trouver le propos naïf, un brin bisounours ? Eh bien non, grâce aux qualités formelles du film, à sa puissance d'évocation. Je pense à cette immense salle de douches côté allemand, où les habits montent et descendent le long de tringles vertigineuses. A la scène où tout le village se précipite en courant vers l'usine, filmée longuement. Aux scènes avec les chevaux, qui assistent à la réanimation du jeune Georges.
Seul petit bémol, le jeu des acteurs, pas toujours formidable côté français, notamment Françoise, dont les répliques sonnent souvent faux. Dommage, c'était l'unique personnage féminin... Bien révélateur de la place des femmes à cette époque, et de leur rôle : enfanter, nourrir, et se faire du mauvais sang. Il y eut, ici, matière.
7,5