Ceux qui trouveront que La Trêve n’est sur rien trouveront aussi l’excuse de dire que Proskurina a créé ce film par ennui. Mais elle ne l’a pas transmis, au moins et à l’inverse de My Joy (Sergei Loznitsa, 2010), qui est exactement la même chose : une suite de photographies sans plus de charme intrinsèque que les décors mockyens recherchés par Dupeyron avec Drôle d’endroit pour une rencontre (1988). Sauf qu’il n’y a pas de drôles d’endroits en Russie et qu’il n’est nul besoin de Mocky pour perpétrer la steppe et l’ennui tel qu’il motive des envies de meurtres puériles et des pulsions sans but.


Un défaut que je n’ai pas réussi à faire rentrer dans cette boîte, c’est la progression, dont le surréalisme semble hériter de la lenteur cachottière d’un soviétisme mikhalkovien, mais qui persiste à vouloir mettre une sorte de « marche » d’une scène à l’autre comme s’il fallait des degrés à cette paresse pourtant monotone.


Plus que My Joy qui était porté sur toutes les pires possibilités, La Trêve fait presque une aventure du voyage de son camionneur, et transforme ses changements de direction en rebondissements presque grotesques : des brigands désabusés, des filles faciles, un militien imbibé, toutes sortes de débauches molles pavant le drame qu’on ingère comme les Russes ainsi dépeints.


La musique, toujours pertinente (j’aimerais être sûr qu’une chanson était en kazakh mais je n’ai pas trouvé l’info), aide aussi à guider cette belliquosité presque animale, cette guerre des clans qui justifie apparemment « la trêve » entre des gens armés sans raison, qui s’énervent pour un rien mais pas pour tout.


Dommage de n’avoir poussé ni dans l’absurde ni dans le vrai drame, celui où l’on ne vous ressuscite pas en vous plongeant dans l’eau après une électrocution, car alors le surplus de procédé déborde sur la médiocrité. Il aurait pourtant suffi de nous ramener à l’idée la doctoresse qu’on s’arrache parce qu’elle est « de Moscou ».


Proskurina n’essaye pas de faire croire qu’il est facile de devenir criminel : elle dit simplement que le crime est là et qu’il est facile de ne pas se sentir coupable. Sa création aurait juste gagné à être plus embrouillée, moins directe, car elle aurait échappé à la descente aux enfers d’un sous-entendu mutique et se serait conformée toute seule à cet homme pieux déclarant : « je ne lis pas la Bible, je ne veux pas mentir ».


Quantième Art

EowynCwper
6
Écrit par

Créée

le 29 juil. 2019

Critique lue 96 fois

Eowyn Cwper

Écrit par

Critique lue 96 fois

D'autres avis sur La Trêve

La Trêve
EowynCwper
6

Critique de La Trêve par Eowyn Cwper

Ceux qui trouveront que La Trêve n’est sur rien trouveront aussi l’excuse de dire que Proskurina a créé ce film par ennui. Mais elle ne l’a pas transmis, au moins et à l’inverse de My Joy (Sergei...

le 29 juil. 2019

La Trêve
JM2LA
6

Attention à l'attrait de la misère

Si le cinéma soviétique pendant des décennies a souvent été obligé de fermer les yeux sur la misère, les échecs sociétaux et humains produits, il semble souvent que le cinéma russe aujourd'hui...

le 13 sept. 2015

La Trêve
MartinChoiselat
7

Brut

Un film très brut, assez spécial. Très simpliste finalement, avec quelques scènes surprenantes. On n'est ni dans la Russie moscovite étincelante, ni dans la Sibérie sauvage, juste dans une province...

le 4 avr. 2013

Du même critique

Ne coupez pas !
EowynCwper
10

Du pur génie, un cours de cinéma drôle et magnifique

Quand on m’a contacté pour me proposer de voir le film en avant-première, je suis parti avec de gros préjugés : je ne suis pas un grand fan du cinéma japonais, et encore moins de films d’horreur. En...

le 26 oct. 2018

8 j'aime

La Forêt sombre
EowynCwper
3

Critique de La Forêt sombre par Eowyn Cwper

(Pour un maximum d'éléments de contexte, voyez ma critique du premier tome.) Liu Cixin signe une ouverture qui a du mal à renouer avec son style, ce qui est le premier signe avant-coureur d'une...

le 16 juil. 2018

8 j'aime

1

Mélancolie ouvrière
EowynCwper
3

Le non-échec quand il est marqué du sceau de la télé

Si vous entendez dire qu'il y a Cluzet dans ce téléfilm, c'est vrai, mais attention, fiez-vous plutôt à l'affiche car son rôle n'est pas grand. L'œuvre est aussi modeste que son sujet ; Ledoyen porte...

le 25 août 2018

7 j'aime

3