Même avec le Locataire, Roman Polanski n’avait pas réussi à totalement me convaincre, jusqu’à maintenant. A l’égal de la portée analytique d’un Nymphomaniac sans les excès pornographiques, La Vénus à la fourrure se révèle tout simplement virtuose et intelligent, pour peu qu’on lui laisse le temps de prendre son envol. L’entrée en scène, avec l’actrice déglinguée à côté de la plaque et le réalisateur aigri incapable d’être aimable, est digne d’un mauvais vaudeville (j’étais désespéré dès l’ouverture, car c’était ce que l’on pouvait redouter en visionnant la bande annonce, très légère pour le sujet visé). Et dès que les répétitions commencent, la révélation. Les inhibitions tombent pour donner dans la performance, les personnages s’effacent dans leur rôle, et la frontière entre la réalité et la pièce s’atténue de plus en plus pour finalement disparaître dans un final complètement fantasmé, qui se livre corps et âme en relecture moderne et haute en couleur du livre original. Ce que La vénus à la fourrure a de virtuose, c’est qu’il confronte avec jubilation l’intellectualisation de tels comportements humains (de soumission et de domination) avec l’instinct ou la bêtise totale, ayant pour point commun le cliché grossier, dans sa plus horrible vulgarité. Et que chacun a sa part de validité, ce qui provoquera immanquablement l’exaspération recherchée dans les deux camps des spectateurs. D’un côté, l’homme intellectuel qui complexifie énormément sa pièce de sous-textes psychologiques et qui s’extasie devant la performance magnétique de son actrice, avant de s’arracher les cheveux devant le manque de subtilité et de raffinement de son interprète, qui rabaisse toutes ses ambitions émotionnelles au cul ou à des enjeux ridiculement simples. C’est une frustration intellectuelle avant la frustration physique, et subtilement, le metteur en scène qui cherchait à imposer sa vision se voit influencé, rabaissé, alors que ces attachements personnels à adapter la pièce se révèlent de plus en plus clairement. Nul besoin de connaître les détails de sa vie et de son parcours, son implication progressive et totale dans son rôle, aidé par l’attitude ambigue de son actrice (ne cessant de sortir et de rentrer dans son rôle, cassant chacun de ses élans, revêtant son rôle pour mieux le renvoyer à ses tendances, c’est avec jubilation que l’on suit cette succession de dialogue où il ne se passe rien, et où la mise en scène gagne peu à peu en fétichisme, conservant la fourrure pour un grand final qui se révèlera marquant au plus haut point. La caricature de séance psychologique participe à cette déconstruction de l’intellectualisation raffinée de telles pulsions, l’explication de tels phénomènes relevant d’une telle complexité que cela conduit à une impasse. De même, toutes les bornes dans l’auto-destruction (ici par la soumission) finissent par s’envoler, leur connotation de contrôle allant à l’encontre de la totale soumission (et donc l’assouvissement). Le film veut radicaliser son personnage masculin, le remettre en face de son vice inavoué, en le brisant moralement, abattant peu à peu les derniers remparts de son esprit raffiné, pour finir là où on l’attendait, dans les clichés les plus humiliants, summum du grotesque au vu de ses ambitions initiales. Sans humour, mais délicieusement caustique, La vénus à la fourrure est l’œuvre empoisonnée qu’on attendait, alliant la bonne performance d’acteur à l’énergie dévastatrice de son discours. Avec davantage de cinématographie, on était dans le chef d’œuvre instantané.

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le 20 mars 2014

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