Le film « La venus à la fourrure » s’inscrit dans une mouvance cinématographique tentant de revisiter le théâtre au travers du prisme cinématographique, et concilier ainsi les facettes exploitables spécifiques aux deux mondes. On peut par exemple citer « Vous n’avez encore rien vu » D’Alain Renais, « Dogville » et « Manderlay » de Lars Von Trier et « Carnage », film aussi signé Polanski.
Dans ce cas précis l’ascétisme imposé par la théâtralité de la mise en scène rend possible un réel approfondissement des personnages et une concentration sur le jeu de Mathieu Amalric et Emmanuelle Seignier. Ainsi chaque regard, chaque expression du visage et chaque geste va permettre l’évolution du récit et installer peu à peu cette atmosphère particulière dont le film est doté. Mathieu Amalric dans le rôle de Thomas, metteur en scène de la pièce de théâtre de Sacher Masoch « la venus à la fourrure » et Emmanuelle Seignier dans le rôle d’une actrice désespéré tenant de décrocher un rôle dans cette même pièce, vont par leurs échanges construire et alimenter l’histoire tout en imposant rythmique et intensité. Les rapports avec les éléments extérieurs étant minimes, ne servant à signifier que ponctuellement l’évolution générale du rapport entre les personnages. On peut prendre l’exemple du port d’un collier de domination au début du film par Vanda puis par la suite porté par Thomas, synonyme d’inversement symbolique du rapport de force. L’approche théâtrale du récit va donc induire une focalisation sur l’acteur en lui même, l’essence du film se trouvant donc dans les mimiques et les interactions des deux personnages.
L’arrivée de la jeune femme dans l’enceinte du théâtre pour le casting du rôle de Vanda dans la pièce « La venus à la fourrure » va agir comme élément déclencheur de l’histoire et être un bouleversement dans la vie de Thomas. En effet Vanda va agir comme un révélateur, mettre au grand jour des réalités gênantes sur le fondement réel des motivations soi-disant uniquement théâtrales de Thomas, brisant ainsi la fine surface illusoire des conventions bien pensantes. En effet, dans ce cas présent le théâtre étant utilisé comme exutoire des passions brimés de Thomas, l’expression des ses fantasmes vis à vis des femmes, étant en quelque sorte l’exacerbation d’une réalité sous jacente à la vie rangée affichée et revendiquée. Ce qui est entendu ici par « vie rangée » est une vie de couples ou les passions sont contenues et maitrisées au regard des convention sociétales. Le film sondant ainsi les contours flous de la moralité au travers des pratiques de dominations à caractère sexuel, la pièce de théâtre étant à la base du film ayant donné le « masochisme ». Ce film va tenter une esquisse des rapports que les personnages entretiennent avec la sexualité, induisant des questionnements quand a la domination homme/femme et femme/homme au travers de la morale personnelle des personnages, traduction d’une morale véhiculée par notre société.
Il est a noter l’origine profondément dissemblable des deux personnages : Thomas, intellectuel dans le milieu des arts, possède un langage soutenu et une culture certaine, va entrer en confrontation avec Vanda, au langage jargonneux bien souvent à la limite du vulgaire, complété par une posture volontairement désinvolte face aux directives de Thomas. Ce film est une histoire de choc des cultures, d’affrontement des perceptions ou la thématique centrale va s’articuler au tour de la dualité. Une multiplicité de dichotomies vont ponctuer le film et se superposer : homme/femme, classe populaire/ « haute » société, culture/ignorance, dominant/dominé. Ce film raconte l’affrontement de ces dualités mais principalement l’abolition de leurs frontières respectives. En effet, les appréhensions des personnages et images qu’ils ont renvoyés d’eux même au premier abord vont peu à peu s’estomper au fil de la construction du récit. Ceci ayant pour finalité de ne donner qu’un syncrétisme de perception, une unité de jeu ou la relativité des origines des personnages va se diluer dans un tout, une entité donnant richesse et profondeur à la thématique générale. Ce qui est principalement souligné ici est l’importance et la prépondérance de l’abondance des deux sources interprétatives inhérente à chacun des personnages. Ces derniers vont puiser dans chacun leur culture et leurs perceptions pour donner voix et réécrire un texte de théâtre classique.
Ainsi par une mise en abime, le jeu des acteurs va doucement s’entremêler entre la pièce « la venus à la fourrure » jouée entre nos deux protagonistes pour l’audition de Vanda, et les retour à la réalité ou les acteurs sortent de leurs jeux théâtraux pour redevenir d’un côté un intellectuel de grande culture, Thomas, et une femme de culture moyenne, Vanda. Subtilement la réalité devient la pièce et la pièce devient la réalité et le doute s’installe pour le spectateur à savoir le quel des rôles l’acteur interprète-t-il vraiment, et quel personnage faut il réellement voir au travers des actes : le personnage tout droit sortir de l’imaginaire de Sacher Masoch ou la « vraie » personne ?
Il pourra tout de fois être reproché vers le milieu du film une accélération de la lente et subtile confusion des rôles enclenchés au départ, menant vers une confusion clairement montrée au risque d’en perdre le caractère raffiné et sous entendu. La confusion des rôles s’en retrouve marquée plus fortement à défaut de finesse. Le spectateur se retrouve ainsi bien plus guidé au travers de la ligne narrative du film, ceci contrairement à l’ambiance allusive et implicite ou le malentendu règne en maitre caractérisée par le début. Ce choix du réalisateur va restreindre par la même le pouvoir interprétatif du spectateur et la possibilité d’une compréhension plus personnelle du film.