Qu'on se le dise, La vie d'Adèle enchaîne les clichés et l'assume totalement. Du groupe de copines décérébrées aux familles coincées/pas coincées jusqu'aux questions fondamentales de l'homosexualité et de l'hétérosexualité, tout y est. La force de ce petit bijou d'émotions réside dans le jeu de ses actrices, poignantes et profondes et dans le travail du réalisateur qui donne aux moments communs une force extraordinaire. Il y a ces moments magiques, où les deux jeunes femmes se regardent sans rien dire, sans même jouer la comédie. Ces déchirures, dérangeantes tellement c'est joué juste, ces scènes de sexe aussi, pertinentes et sans limites, qui prouvent bien plus que des mots que la passion d'un amour peut être excessif et fusionnel. Léa Seydoux est parfaite dans ce film, laissant apparaître une assurance jamais surjouée. Elle est lumineuse. Une opposition totale au style de la belle Adèle Exarchopoulos, qui crève l'écran par sa manière d'interpréter son rôle assez atypique. Elle pourrait être notre pote de fac ou notre collègue de boulot, manquant de répartie, parfois de culture, mais toujours vraie, sincère et désespérément amoureuse. Elle est déroutante, comme ce film qui ne laissera personne intact. Une histoire d'amour, déchirante, enivrante, qui prend aux tripes ses protagonistes comme ses spectateurs.
Je souhaite ajouter quelques petites précisions à propos du films après des discussions avec certains de mes collègues de SensCritique. Certains étaient contre les méthodes de Kechiche, d'autres un peu plus mesurés. Fallait-il tout montrer ? Le cinéma de Kechiche se veut réaliste. Mais, même au-delà de ça, La vie d'adèle se veut réaliste. Le film montre un amour passionnel, très fusionnel et qui fait mal. L'enjeu central du film est cette relation trop écrasante pour ne pas être destructrice que vont "subir" les deux femmes.
Le sexe est aussi intense pour deux choses : simuler des scènes de sexe, les suggérer n'aurait pas été possible dans la mesure où le film se base sur un hyper réalisme constant. Du choix des mots jusque dans l'attitude des jeunes femmes. Même le manque de charisme évident du personnage d'Adèle à certains moments fait partie de cette authenticité. Le film ne peut absolument pas prétendre s'appuyer sur une telle base sans montrer du sexe cru. C'est impossible dans la mesure où, en plus, il comporte deux thèmes : l'amour et le passage à la vie adulte (la vraie). Je trouve ça assez déroutant que certains pensent que ces scènes sont inutiles alors que les scènes de sexe sont aujourd'hui inutiles dans 95% des films. Là, il y a le propos et la manière. La deuxième chose, et ce n'est que mon avis, c'est qu'il était primordial pour les actrices d'avoir cette barrière complètement détruite entre elles. Elles ne sont même plus des actrices, elles deviennent ce qu'elles devaient être. Les scènes de sexe démontrent une pureté dans leur (faux) amour. Le spectateur est alors trompé. On oublie le jeu, les comédiennes. Il s'agit là de Adèle et Emma, rien de plus. Je peux aussi défendre un des moments à la fin où Adèle est très érotique (c'est peu dire) avec la main de sa compagne dans le restaurant. On voit toute la détresse du personnage, toute sa maladresse, toute sa soumission. C'est une scène très belle, pathétique mais juste que peu perçoivent comme une scène intéressante et c'est bien dommage. Elle est un moment clé dans la rupture totale des deux amoureuses.
Kechiche est extrêmement dur dans ses interventions. Il refait les scènes, rigole peu, Léa dirait que c'est un vrai tyran, Adèle serait aujourd'hui plus mesurée. Je ne juge pas les conditions de travail qui sont sans nul doute très déplorables. Refaire les scènes d'amour des heures durant, casser des caméras, crier sur les actrices jusqu'à les faire exploser, tout ça est à la limite du raisonnable et je le conçois. Mais le constat est là et le nier serait une erreur : La vie d'Adèle est le film qu'il est aujourd'hui grâce à cette énorme pression du réalisateur. Il y a une scène dans le film nécessitant beaucoup de prises et qui s'est terminée par une blessure puis un pétage de plomb lors du tournage : celle de la dispute fatale. C'est pour ces raisons que cette scène est la scène de rupture la plus chargée en émotions que j'ai pu voir de ma vie. Elles sont tellement à bout de nerfs, jouent la scène tellement de fois qu'elles ne sont plus du tout dans le texte ou dans l'esprit des personnages : elles sont les personnages. A l'arrivée, la scène est glaçante de sincérité et on ne sait même plus si c'est vrai ou joué.
Tous les avis sont bons et je ne juge personne, ce n'est que ce que j'ai tiré du film et j'ai eu envie de le défendre avec hargne et conviction car c'est rare qu'un film me prenne autant aux tripes.