Source : http://shin.over-blog.org/la-vie-de-david-gale.html


Alan Parker est un cinéaste dont la réputation n'est plus vraiment à faire, et nombreux sont les fleurons qu'il a offerts au cinéma américain. Lorsque l’on regarde de plus près sa filmographie, on remarque aussi que deux grandes tendances s’en dégagent. En premier lieu, Alan Parker a su, tout au long de sa carrière, moderniser le film musical avec panache, jusqu’à en devenir l'un des plus éminents spécialistes (de Bugsy Malone à Fame, en passant par Pink Floyd : The Wall, The Commitments ou, plus près de nous, Evita). D’autre part, il s’est également illustré pour ses films de société tragiques, engagés et pour le moins polémiques (qu’il s’agisse du classique Midnight Express, de Birdy, d’Angel Heart : Aux portes de l'Enfer, de Mississipi Burning ou encore du récent Les Cendres d'Angela). Avec La Vie de David Gale, Alan Parker ne déroge pas à la règle et revient donc à l'un de ses genres de prédilection en se frottant à un sujet extrêmement délicat, et particulièrement aux États-Unis : la peine de mort. À la sortie de ce film, précisons, en outre, que la présidence des États-Unis était alors assurée par un certain George W. Bush ; ancien gouverneur du Texas et, accessoirement, fervent défenseur de la peine capitale. Le long-métrage d’Alan Parker a donc logiquement généré son petit lot de controverses Outre-Atlantique (déchaînant la passion de la presse américaine pour un sujet aussi brûlant), alors qu'il peinait dans le même temps à convaincre son public et à remplir les salles (à peine plus de 17 millions de dollars de recettes en fin d'exploitation pour un budget presque trois fois supérieur). S’il serait alors facile de penser que les Américains ne sont pas réceptifs à des films en apparence aussi critiques vis-à-vis du fonctionnement de leur société, on peut également arguer la maladresse du script et une ambiguïté dans le propos qui auront pu en décontenancer plus d'un. En France, la presse spécialisée ne s'est d'ailleurs pas privée non plus pour dénoncer l'espèce de complaisance malsaine avec laquelle Alan Parker a abordé son sujet et le caractère particulièrement douteux du, ou plutôt des messages qu'il semble vouloir faire passer. Et si la virulence de certaines critiques pourrait malgré tout paraître un brin excessive par moment, un irrépressible sentiment malaise plane effectivement bel et bien à la fin de la projection ; le final du film étant en effet particulièrement déroutant.


Et pourtant, La Vie de David Gale ne manque vraiment pas de qualités et avait tout pour devenir un très grand film. À commencer par son casting haut de gamme où se côtoient, entre autres, Matt Craven, Laura Linney, Leon Rippy, Kate Winslet ou encore Kevin Spacey bien entendu. Il est d’ailleurs assez curieux de s’imaginer que les rôles principaux aillent failli être interprétés par d’autres comédiens tant le choix des acteurs semble ici particulièrement judicieux. Il est ainsi plutôt surprenant de penser que David Gale aurait dû à l’origine être… George Clooney ! Non pas que l’acteur ne possède pas le talent requis (je l’ai d’ailleurs trouvé assez formidable dans Une nuit en enfer, Hors d’atteinte, La Ligne rouge, Solaris ou encore Syriana). Seulement, on n’imagine moins aisément ce séduisant VRP de Nespresso en violeur que celui qui donna vie au sociopathe sadique de Se7en… De la même façon, le rôle tenu par Kate Winslet avait d’abord été destiné à Nicole Kidman. Si cette dernière aurait très certainement livré une interprétation sans faille, j’ai du mal à imaginer quelqu’un d’autre à la place l’actrice anglaise tant j’ai trouvé sa prestation impeccable. Globalement, La Vie de David Gale n’a de toute façon pas à rougir de son casting, jusque dans ses rôles les plus secondaires ; même si Kevin Spacey est largement celui qui impressionne le plus par l’intensité de son jeu et la force de son implication. De Usual Suspects à K-Pax, l'homme qui vient de loin, en passant par Se7en, Swimming with Sharks, L.A. Confidential, Minuit dans le jardin du bien et du mal, American Beauty, Ordinary Decent Criminal ou encore Un monde meilleur, cet artiste polymorphe arrive toujours à insuffler aux personnages qu’il interprète une profondeur unique et une certaine forme d’attachement (et ce, même lorsqu’il campe la pire des ordures). Une fois encore, il donne au personnage qu’il incarne une dimension incroyable ; parvenant à susciter en nous autant l’intérêt, l’attachement que l’émotion. Du grand art comme on voit que rarement qui conforte la place de Kevin Spacey au sommet des acteurs les plus merveilleux et talentueux (et ce n’est certainement pas moi qui remettrais en cause les Oscars qu’il a reçus pour ses prestations impériales dans Usual Suspect ou encore American Beauty). Sa participation au film d’Alan Parker est assurément le plus gros atout d’un film qui aurait vraiment souffert de l’absence d’un acteur aussi exceptionnel.



"Des hommes, des femmes et d'la verve, nom de dieu !" (air connu)



Au niveau de la réalisation, La Vie de David Gale est également un long-métrage qu’il est agréable de suivre. Bien qu’Alan Parker ait sans nul doute déjà été plus inspiré, sa caméra accompagne avec justesse les mouvements des personnages et son sens du cadrage est demeuré toujours aussi avisé. Il n'en fallait évidemment pas moins pour un film aussi subversif qui n’aurait décemment pas pu s’appesantir de lourdeurs dans la mise en scène. Certains passages possèdent ainsi une formidable puissance cinégénique ; participant de ce fait à l’implication profonde du spectateur. À ce titre, la scène de confrontation télévisuelle entre David Gale et le gouverneur du Texas est pour le moins prodigieuse. Lorsque l’on sait que le réalisateur avait un temps songer à engager un sosie de George W. Bush pour le rôle, on n’imagine à peine l’impact que cela aurait pu provoquer dans l’opinion publique… d’autant que sa charge contre l’ancien Président américain me semble déjà suffisamment féroce et explicite comme cela. Quoi qu’il en soit, la réalisation d’Alan Parker permet de suivre La Vie de David Gale avec un véritable plaisir de cinéphile ; et notamment dans sa façon de gérer une tension qui va crescendo, jusqu’à la mise en abîme même du drame que fait naître le compte à rebours implacable de l’exécution de David Gale. Jusqu’au bout, on se demande vraiment si la journaliste Elizabeth Bloom parviendra à le sauver ou non. Parmi les séquences les plus mémorables, en dehors des images très fortes du "viol", je retiendrai surtout celle où David Gale doit dire adieu à son fils et qu’il finit en larmes sur les marches avec la peluche du gosse dans les bras ; un passage particulièrement émouvant, soutenu par la force de conviction de son interprète. De fait, même si certaines des révélations qui agrément le récit étaient assez prévisibles (disons que j’ai rarement été surpris pour ma part), l’intrigue s’avère assez rondement menée durant près d’1h40. Le hic, c’est qu’il dure 30 minutes de plus durant lesquelles on découvre une abominable vérité qui ne peut que laisser pantois (ce qui suit est à déconseiller à tous ceux qui n’auraient pas vu le film et ne voudraient pas connaître de détails cruciaux quant à sa conclusion).


Et alors qu’on pensait que le film avait d'abord été conçu comme une sorte de réquisitoire contre la peine de mort, Alan Parker se fourvoie en un instant avec cette une conclusion aussi hautement improbable que foncièrement abjecte ; nous donnant par la même la très désagréable impression de s’être fait arnaquer dans les grandes largeurs. La Vie de David Gale s'oriente alors en effet sur une pseudo-dénonciation de la facilité avec laquelle on peut manipuler l’opinion publique, et surtout les dérives de l’extrémisme (cette idée que, même s'il s'agit de défendre des idéaux aussi légitimes et justes que l’abolition de la peine de mort, on peut devenir encore plus monstrueux que l’horreur que l’on voulait dénoncer en ayant recours à des méthodes aussi discutables). Le problème, c’est que – si ces aspects sont très intéressants au demeurant (et mériteraient largement qu'on s'y attarde) – à ce niveau-là du film, ils apparaissent comme totalement hors de propos. Sacrifié un sujet aussi grave et important que la peine de mort dans le seul but d'artificiellement surprendre le spectateur avec un twist ending totalement déplacé me semble être l'un des plus gros ratages de La Vie de David Gale. Non seulement cette ficelle scénaristique gâche complètement la portée du message (le débat sur la peine de mort étant alors reléguée au second plan au profit du spectacle) mais, en plus, elle intervient bien trop tardivement dans le récit pour que l'on puisse vraiment s'impliquer sur cette nouvelle orientation du film (en tout cas, pas après avoir autant instrumentalisé le débat peine de mort pour, in fine, l'abandonner aussi maladroitement au profit de réflexions hasardeuses sur la manipulation et l'extrémisme). Pire que maladroite, la méthode employée est d'autant plus problématique qu'elle gâche aussi le sentiment général ressenti ; et on ressort de la séance finalement moins bouleversé qu'écœuré par tout ça. Dommage. Mille fois dommage même tant le sujet était prometteur et le casting de haute volée. Pour ce dernier d'ailleurs, La Vie de David Gale vaut néanmoins le coup. Son interprétation est absolument remarquable, et Kevin Spacey tout simplement stupéfiant. Pour le reste, vous jugerez sur pièces. Après tout, je suis peut-être passé à côté de quelque chose...

Shinémathèque
4
Écrit par

Créée

le 8 nov. 2019

Critique lue 1.4K fois

Shinémathèque

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

D'autres avis sur La Vie de David Gale

La Vie de David Gale
KinDick
8

La Vie de David "Socrate" Gale

Petit résumé de philosophie : il a fallu que Socrate meurt pour que la philosophie existe. En regardant ce film, vous comprendrez toute la puissance et le rapprochement avec le film qui vous fera...

le 15 nov. 2011

23 j'aime

La Vie de David Gale
EvyNadler
8

Tu ne coucheras point.

Un très bon "drame" sur la peine de mort et son combat. J'ai quelques critiques à faire sur le film dans la mesure où il avait un énorme potentiel (malgré un scénario assez simpliste au début,...

le 18 sept. 2014

22 j'aime

10

La Vie de David Gale
LaurèneBancale
3

Oui-Oui fait de la politique

Quand une œuvre de fiction vous présente un de ses personnages comme un "esprit original" et un "génie", vous avez deux possibilités. Soit vous vous trouvez en face d'un personnage porteur d'un...

le 14 juin 2014

20 j'aime

4

Du même critique