Lorsqu’on a le privilège de connaître la fin de l’histoire et qu’on en voit les personnages s’enliser et s'époumoner à résister, on a envie de les bousculer, de leur certifier que tout ira bien, que devant soi : la vie. Mais cela nous est impossible et on se résigne en trépignant, à leur rythme et en silence.
J’associe davantage Nils Tavernier à la réalisation de films documentaires que de fiction et « La vie devant moi » est un peu des deux : une fiction tournée à la manière d’un doc’, à partir d’une histoire vraie et renseignée par la protagoniste principale, Tauba Zylbersztejn et son époux, le résistant Guy Birenbaum.
Le film commence le jour 1 de la rafle du Vel d’Hiv’. La famille Zylbersztejn est cachée dans une chambre du 6ème étage que leur prête la famille Dinanceau, dont le fils a rejoint les Nazis. La chambre est austère : un lit, un lavabo, une table et trois chaises, sous les toits de l’immeuble parisien situé 209 rue Saint-Maur à Paris. Aucun des personnages ne peut imaginer qu’ils y resteront 765 jours, jusqu’au 6 juin 1944.
Tavernier filme leur existence frugale à huis clos en déroulant les émotions et ressentis qui évoluent au gré des nuages dans le ciel et des bruits de l’immeuble : la joie, l’espoir, la colère, l’amertume, le chagrin, le désespoir, la fatigue, l’abandon, l’attente, le sursaut, le repli, le dépouillement. Il y a une chose que personne ne réussit à leur enlever : l’esprit de famille et la poésie.
C’est la jeune Tauba qui mène la danse : elle porte ses parents, s’indigne, réfléchit, écoute, observe, imagine. Elle fait de ses rêves de minuscules réalités touchantes en impressionniste de la vie.
Tauba voit grand, elle a compris que par-delà les toits, c’est la vie et même un peu plus : le monde. Sa perspective de gosse est infinie, déterminée à prendre sa revanche, Tauba.
Le jour de la libération de Paris, sur les toits, elle rencontre celui qui deviendra son époux, celui qui a rendu possible la vie, le monde de Tauba.
C’est filmé tout en sobriété, à l’économie comme en temps de guerre mais l'oscillation de la flamme de la bougie et les silences sont plus éloquents que des pages de dialogues. Comme le sont les attitudes. Les comédiens, tous à égalité, Violette Guillon, Guillaume Gallienne, Adeline d’Hermy, Sandrine Bonnaire, Laurent Bateau, en quelques postures discrètes et gestes aussi frêles qu’assurés, nous révèlent tant, de leurs sentiments, de l’époque, de leur vaillance et de leur humanité.
Ce film s’inscrit dans la collection de témoignages des rescapés de la Shoah, initiée par Steven Spielberg et la Fondation