On connaît la difficulté de parler encore aujourd'hui de "l'Ecole de la République" et de sa mission éducatrice dans une société de plus en plus malade - fracture sociale s'aggravant décennie après décennie, menace croissante d'un communautarisme encouragé par le prosélytisme religieux, etc. -, sans tomber dans des clichés réducteurs, voire franchement réactionnaires. Et c'est donc tout à l'honneur de Grand Corps Malade et de Mehdi Idir d'avoir voulu réaliser un film comme "la Vie Scolaire", un film qui tente d'embrasser pleinement la complexité de son sujet, tout en essayant de rester fidèle à la vitalité souvent enthousiasmante de ces adolescents, retraduite ici avec une vraie générosité, avec un vrai respect aussi du potentiel comique et dramatique de situations malheureusement trop réelles.
On adhère donc largement comme spectateur au projet de "la Vie Scolaire", et on se laisse régulièrement embarquer par l'énergie qui se dégage de cette jeunesse condamnée à ne jamais pouvoir - à quelques exceptions près, un élève doué ici, un apprenti musicien créatif là - sortir de leur monde, une jeunesse souvent filmée avec une vraie et belle empathie. On rit aussi beaucoup devant les plaisanteries échangées entre membres du corps enseignant et entre élèves, témoignant de l'inventivité d'un langage protéiforme et de codes de comportements aussi caricaturaux que finalement universels. On compatit enfin devant le constat inévitable de l'impuissance d'hommes et femmes de bonne volonté - parents, professeurs, CPE, "tous unis" pour essayer de sauver quelques enfants du naufrage sociétal annoncé. On admire quelques trucs malins de mise en scène : plan séquence au goût du jour, représentation en miroir de fêtes du personnel de l'école et des élèves, etc. On est quelque part ravis que Saint Denis et l'un de ses collèges dans une zone particulièrement difficile aient droit à un film de deux heures, qui devrait attirer un public varié : certains viendront le voir pour s'amuser, d'autres pour réfléchir, et pourquoi pas ? C'est bien là l'essence d'un vrai cinéma populaire, qui sait ne pas tomber dans la vulgarité habituelle à notre chère comédie française, pour nous parler de nous.
Mais toute cette distribution de bons points que l'on fait de bon cœur en sortant de la séance ne fait pas de "la Vie Scolaire" un bon film, très loin par exemple de ce qu'avaient réussi Cantet et Bégaudeau avec leur incisif "Entre les Murs". Car finalement, à ménager la chèvre (les copains du 9-3, pour caricaturer) et le chou (les ambitions des enseignants, qu'il ne faut pas désespérer), "la Vie Scolaire" aligne surtout des évidences, met en scène des histoires convenues, prévisibles, et s'embrouille entre gags répétitifs lourdingues et drame social stéréotypé : ainsi toute la partie entre Samia (Zita Hanrot, très juste) et son compagnon en prison est à hurler, tandis que d'un autre côté on a un peu honte de sourire devant les facéties d'un prof d'EPS guère au dessus du niveau de celui du "Petit Spirou". L'évacuation étonnante de la question religieuse, que l'on imagine comme la conséquence d'une volonté de ne fâcher personne, rend en outre très factice cette belle peinture finalement très consensuelle des "quartiers".
Au final, les deux heures de "la Vie Scolaire" paraissent bien longues, soit parce que ressasser les mêmes situations ne leur confère pas plus de profondeur, soit parce que, en dépit de la bonne volonté générale, on a l'impression de voir ici trop peu de la "vérité", celle que le Cinéma se doit de montrer vingt-quatre fois par seconde.
Et ça c'est dommage.
[Critique écrite en 2019]
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