Le Monde Perdu
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Sur le balcon d’une belle villa surplombant la mer, un vieil homme décide de s’accorder un peu de plaisir en fumant une cigarette. La vague de bien-être disparaît rapidement : il fait une attaque qui le cloue au lit, impotent. Ses trois enfants se réunissent alors autour de lui, dans cette maison de la calanque de Méjean, à côté de la Marseille si chère au cœur de Robert Guédiguian.
Angèle (Ariane Ascaride), qui a fui les lieux il y a vingt ans pour la vie de théâtre, Joseph (Jean-Pierre Darroussin), cadre cynique retraité malgré lui, et Armand (Gérard Meylan), resté faire vivre le restaurant et les idéaux familiaux de gauche, se retrouvent après des années de silence. C’est donc une nouvelle fois sa bande de comédiens fétiches que le réalisateur convoque, accompagnés de quelques nouveaux – qui ne le sont plus vraiment – dont Anaïs Demoustier, qui joue Bérengère la fiancée de Joseph, ou Yann Tregouët, dans le rôle d’Yvan, le fils des voisins au cœur très à gauche. Un face à face qui permet à Guédiguian de creuser une thématique clé de son cinéma : les idéaux, ce que chacun en fait et la confrontation entre des générations qui n’envisagent pas la vie de la même manière.
La fin des idéaux ?
Autour du patriarche alité, toute la famille – voisins et amis compris – essaie de vivre ensemble. Mais le passé peut être difficile à accepter. Angèle a fui très loin, car elle n’a pas pu pardonner à son père la mort de sa fille, noyée alors qu’elle était sous sa surveillance. Joseph a toujours eu du mal à vivre en conciliant son statut de cadre respecté au salaire confortable et les convictions familiales. Quant à Armand, il est resté fidèle aux préceptes de l’éducation paternelle et propose à ses clients des repas de qualité pour un prix modeste quitte à ne pas s’en sortir… La nouvelle génération, incarnée par Bérengère et Yvan, est beaucoup plus pragmatique : pour y arriver, il faut foncer, peu importe le passé, l’histoire. Le fossé semble impossible à combler. Mais, qui a raison ? Comment vivre dans le monde d’aujourd’hui ? Les jeunes des années 1980 étaient-ils plus heureux ? C’est l’impression que donne le film le temps d’une scène tout droit tirée de Ki lo sa ?, un des premiers longs métrages de Guédiguian où les trois compères Ascaride, Darroussin et Meylan apparaissent dans toute l’insouciance de leur jeunesse. Riant, courant, vivant pleinement sur la magnifique I Want You de Bob Dylan, ils semblent tellement plus légers que les jeunes de 2010… Réalité ou illusion ?
Ainsi va la vie…
Empreint de nostalgie, le film n’est jamais pessimiste, loin de là. Maîtrisée, la mise en scène laisse entrevoir les parts d’espoir, de bienveillance tapies en chacun des personnages. Et lorsque des migrants échouent sur la côte méditerranéenne, tous sont d’accord pour leur venir en aide. C’est une fratrie de jeunes réfugiés, une fille et deux garçons, qui permet à cette famille aux liens distendus, dans la dernière partie de ce film lumineux, de se retrouver, de s’ouvrir à la vie et d’accepter un passé où le bonheur côtoie la tristesse… mais aussi, et surtout, la promesse d’un avenir incertain, mais réel.
La fin du film, sublime, redonne de la force à chacun, personnage comme spectateur. Sous le viaduc où passent les trains, Joseph, Angèle et Armand crient leurs prénoms, jouant avec l’écho, comme quand ils étaient enfants. Amusés, les deux petits migrants, jusque-là muets, se mettent à crier le prénom de leur frère disparu. Et là, alors que le jeu des échos se fait, le vieux père de ces grands enfants qui revivent enfin, toujours sur sa terrasse, tourne la tête vers le viaduc. Et sourit. La vie est toujours là, rien n’est perdu.
Publication originale sur likeinthemoviesblog.wordpress.com
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Créée
le 9 févr. 2018
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