A la vue de ce film étrange et foutraque, parfois éclairé de dialogues assez littéraires, sans illusion sur le genre humain, j'ai pensé qu'il s'agissait de l'adaptation d'une pièce de théâtre - hypothèse corroborée par le générique final, évoquant l'œuvre d'un certain Martin Meroy - véritable auteur de polars d'espionnage, mais dont le titre cité n'existe pas!
En réalité, le réalisateur Jean Marbœuf, récupérant un film de commande, aurait connu plusieurs conflits avec ses producteurs, mais le scénario serait bien le sien.
De prime abord, on assiste à un polar provincial dans l'esprit de l'époque, très critique avec la France de droite et son atmosphère de fin de règne (le pays ne connaîtra l'alternance politique que l'année suivante), gangrénée par la corruption des "élites" mise au jour par les deux chocs pétroliers et la crise économique qui s'en suit.
Mais ce qui distingue "La ville des silences" de la concurrence constitue en même temps sa faiblesse : la narration se veut originale, avec un montage erratique, une mise en scène fauchée mais ambitieuse, et des dialogues très écrits, souvent au vitriol.
La dimension policière devient très vite un prétexte, le héros détective privé (incarné par Jean-Pierre Cassel) mène une enquête totalement décousue, bref impossible pour le spectateur de se passionner réellement pour cette affaire...
Reste une poignée de scène réussies, angoissantes, inattendues, parfois drôles (je pense à la tentative de noyade du héros par un chômeur devenu tueur à gage). Le film diffuse ainsi une étrangeté inquiétante, à l'image des meurtres souvent graphiques (le fauteuil roulant en flammes!). Toutefois, l'aspect fauché de la mise en scène tire souvent le film vers le bas, à l'image de l'accident d'avion ou de la poursuite en voiture meurtrière.
Ultime difficulté : si certains comédiens incarnent leur personnage avec beaucoup de conviction, à l'image de Jean-Marc Thibault ou Alexandre Rignault, d'autres personnages secondaires stéréotypés font un peu tâche, et Cassel lui-même n'apparaît pas toujours convaincant.