Sur le plan artistique, La Voix d'Aida met en scène le massacre de Srebrenica peut-être de la manière la plus brillante qui soit. C'est à dire sans le filmer. Le film ne nous l'explique pas, il nous laisse dans l'incompréhension face à qui se passe. L'intelligence du film, finalement, c'est de ne pas tout nous montrer (et même, en fait, de presque rien nous montrer), de nous faire ressentir, de nous faire nous interroger, mais de nous laisser dans une sorte d'incompréhension troublée face au fatalisme qui s'abat.
C'est la représentation de l'ONU tout d'abord, dont on ne comprend jamais, finalement, les décisions. L'ONU qui apparait complètement dépassée avec ses soldats en short, et dont on ne voit aussi presque jamais les réunions, les décisions, sûrement parce qu'il ne s'y passait rien, et qu'il n'en ressortait rien. L'histoire de cet échec de l'ONU, sûrement l'un de ses plus grands, est de fait superbement représentée tant elle est peu représentée (mais omniprésente : on voit les symboles de l'ONU, ses soldats, presque à chaque image à l'écran), et donc incompréhensible : on voit l'ONU tout le temps, mais ils n'ont l'air de rien faire. Mais qu'est ce qu'ils foutaient face à ce qu'il se passait devant eux ? Et le film ne perd pas son temps à nous montrer inlassablement les raisons de l'échec, on le ressent, il laisse une part d'incompréhension chez le spectateur, on peut imaginer des raisons (incapacité, chaine de commandement qui ne suit pas, manque d'effectif, dépassement face à l'afflux, soldats non préparés...), mais on ne sait jamais vraiment.
Et puis évidemment, la représentation du massacre, là aussi jamais filmé. La violence est en permanence hors champ, comme si on ne la comprenait pas, comme si on ne voulait pas la voir, comme si on ne pouvait pas imaginer que chose pareille puisse se produire. On se retrouve dans la peau du monde d'alors (et d'aujourd'hui), on sent bien que quelque chose de dramatique se passe, mais on ne sait pas, on ne veut pas savoir, on ne comprend pas, on ne fait rien. La violence est omniprésente, et jamais montrée. On filme les visages, les yeux, les regards, des victimes, de ceux qui restent et des autres. Et qui en disent long sur le drame qui s'est passé.


Et puis on a Aida, la seule personne qui court. Personne ne court, tout le monde apparait immobile, que ce soit l'ONU, les réfugiés, le reste du monde, même les Serbes..., mais Aida, elle, elle court tout le temps, partout. Elle s'acharne. Pour finalement arriver au même point que les autres (le titre original du film "Quo Vadis, Aida?" est de fait bien mieux choisi que le titre français). Ça laisse un sentiment amer. A quoi bon courir ? Pouvait-on empêcher ce qu'il se tramait ? Et si tout le monde avait couru, aurait-on évité Srebrenica ?

jean-taulier
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le 26 sept. 2021

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