Si dans le film Isabelle Huppert est Iris, elle aurait pu porter le prénom de la chanson de Leonard Cohen, Suzanne, cette fille dont on sait qu’elle est à moitié folle, et c’est pour ça qu’on veut rester à côté d’elle, («And you know that she's half crazy/But that's why you want to be there »), d’autant plus qu’elle vient de loin, de France, mais « juste au moment où tu veux lui dire/Que tu n'as aucun amour à lui donner/Elle t'entraîne dans ses ondes » («And just when you mean to tell her/That you have no love to give her/Then she gets you on her wavelength»).
Isabelle Huppert joue donc une marginale de passage, qui a la disparition facile, disparue qu’elle est à rencontrer des gens aux émotions disparues : sa méthode innovante, pour se glisser dans la langue de Molière, est en pleine expérimentation et consiste à demander, plutôt, pour briser la glace, à insister sur la restitution du ressenti, qu’elle traduit en français d’un anglais où des Coréens ont déjà traduit leurs émotions. S’ensuivent, malgré tous ces filtres, des moments de vérité et d’apparition de nouveaux sentiments, qui se paient parfois par les disparitions subtilement filmées d’Isabelle Huppert, notamment dans la séquence d’ouverture, où, après un plan fixe, elle disparaît dans le dos de son élève qui ne la voie pas, occupée à jouer du piano.
Quand on parle ou chante en langue étrangère, on y met parfois de l’intime qu’on ne pourrait pas trouver dans la langue maternelle, le voyage, même dans l’étrangeté de mots étrangers, permettant une forme de désinhibition, qui n’a sans doute comme égale que la colère de la langue maternelle, au sens propre comme au sens figuré.
Très bon film, bon film d’Hong Sang-soo malgré ou à cause la présence de la vedette étrangère : sous la banalité, il sait capter l’évanescence et le fugace où se trahissent les séismes et les tsunamis de makgeolli, un type d'alcool de riz doux et laiteux (6,5 à 7°) propice aux émotions et aux disparitions.