Habituellement je ne suis pas particulièrement sensible au fait de savoir en avance ce que sera le film que je vais voir, j'arrive toujours à accrocher sur un élément ou un autre pour y prendre ou pas du plaisir à le découvrir en dépit d'éventuels spoilers qu'on a pu m'infliger. Là, j'avoue que j'aurais grandement préféré découvrir ce film vierge de toute information le concernant.
Je regrette d'avoir en amont été mis au courant de son dispositif formel. Je regrette d'avoir su en avance quel était son thème central. Je regrette vraiment de ne pas me l'être pris comme le choc qu'il a du être pour les spectateurs chanceux qui l'ont découvert sans rien en savoir, mais nous n'avons pas tous le privilège des séances cannoises ...
Néanmoins le film reste une véritable épreuve de cinéma et j'ai été moi aussi abasourdi par ce que je voyais à l'écran. Qu'il s'agisse du travail sur le son qui est stupéfiant ou du travail sur la dichotomie permanente entre le calme bucolique où la narration a choisi de se dérouler et l'horreur qui s'usine juste à côté, l'expérience procurée est presque indescriptible.
Toutefois je ne suis pas d'accord avec tous ceux qui parlent de hors champ, comme si l'industrialisation du mal en plein régime n'était que de l'ordre de la suggestion, c'est bien pire, car si effectivement on nous abstient des images chocs dans le camp, sa présence et son existence sont de façon permanentes sous nos yeux et par corollaire sous celui de cette banale famille de serviteurs de l'état. C'est le bruit ronronnant qui n'a de cesse de rythmer le quotidien, ce sont les volutes des fumées âcres qui voilent l'azur et rendent l'atmosphère nantie d'un remugle irritant, ce sont également les nuages de vapeur incessants qui signalent l'arrivée d'autres victimes de l'industrie criminelle en marche, juste derrière ce mur aveuglant ou ces barbelés comme horizon.
En cela le film n'illustre pas uniquement le mal comme un fait caché et possible uniquement dans son organisation en compartimentant soigneusement les rôles des petits exécutants, mais bel et bien comme l'expression zélée et complice de chaque rouage. La banalité du mal selon Hannah Arendt, pour qui l'horreur a pour devenir réalité non pas besoin d'extraordinaire mais de la quotidienneté rassurante de petites tâches subalternes et faites par de simples exécutants sans grades.
Je ne vais d'avantage développer mon avis, car je pense sincèrement que ce film fonctionne vraiment si on ne sait rien et qu'on se laisse surprendre, tout juste pour conclure attendez vous à une proposition radicale, que je refuse de qualifier d'installation d'art, car je trouve cette posture réductrice, mais qui peut - et c'est je pense voulu - déranger le spectateur.