Attention, beaucoup d'éléments dans le texte qui dévoilent certains points du film.
Un film banal. L'histoire d'une famille allemande (lui, elle et la ribambelle d'enfants) heureuse dans les années 40. Une partie de piquenique au bord d'un lac enchanteur. Une maison confortable avec un splendide jardin avec de beaux massifs de fleurs et même une piscine. C'est suffisamment rare à cette époque de guerre et de bombardements partout dans le monde, pour que ça mérite d'être mentionné et (peut-être) qu'on en fasse un film.
Un film dérangeant car on comprend vite qu'il s'agit de la famille Höss. Lui, Rudolf Höss est le commandant du camp d'Auschwitz. Il habite avec toute sa famille dans une maison mitoyenne avec le camp. On ne voit pas l'intérieur du camp, on ne voit que le mur hérissé de barbelés. Mais on entend le ronflement des fours qui fonctionnent presqu'en continu, quelques coups de feu lointains, des cris, des sifflements de locomotive. Mais ces bruits, il n'y a plus que le spectateur qui les entend car ils font partie du décor. C'est les bruits de l'usine où papa travaille. Le petit inconvénient des avantages et de la belle vie heureuse.
Un film glaçant
Lors d'une balade sympa à cheval à proximité du camp dont on entend le sempiternel ronflement des fours et quelques coups de feu sporadiques, Höss s'écrie :
Tu as entendu ? C'est un héron !
Alors que le spectateur, lui, n'entend que les cris et le ronflement des fours.
Comme ces magnifiques vêtements, ces somptueux manteaux de fourrure (avec un tube de rouge à lèvres, oublié) qui "viennent du Canada" et dont les femmes parlent entre elles.
Alors que le spectateur sait pertinemment que le Canada est une zone de stockage d'Auschwitz. Alors que le spectateur comprend que c'est une "blague récurrente" et devine que les femmes qui parlent, savent.
Glaçant aussi par le professionnalisme de Höss qui tourne à l'obsession le jour d'une réception officielle dans une grande salle quand il examine les quantités de produit pour gazer rapidement toute la salle.
Un film intelligent qui examine la Shoah sous une autre facette en se demandant comment était-il possible de vivre à proximité immédiate d'un grand camp d'extermination. D'autant qu'au-delà du bruit et des cris, il devait y avoir les fumées qui se rabattaient ainsi que les odeurs. Une autre façon de revenir sur ces "nous ne savions pas " ou encore "nous pensions que tous ces gens étaient simplement déplacés et réinstallés vers l'Est". Grâce à l'objectif nazi de Lebensraum.
Parmi les différentes approches proposées par Jonathan Glazer : la violence qui existe déjà chez les deux garçons de Höss qui se battent entre eux alors qu'ils sont en principe heureux. Mais, surtout l'attitude de la belle-mère de Höss qui évolue entre son arrivée émerveillée chez sa fille et son départ précipité, une fois qu'elle a eu compris et réalisé.
Un film terrifiant dans la banalisation de l'horreur.
Höss qui tue à longueur de journée mais qui endort sa fille en lui racontant "Hansel et Gretel";
Höss qui examine les projets d'amélioration de la productivité des fours avec des mots soigneusement choisis et politiquement corrects.
La précarité des domestiques (prisonnières du camp) dont use la maîtresse de maison pour se faire obéir, comme on ne le ferait pas d'un chien …
Et puis, tandis que Höss dans une descente d'escalier (vers quel enfer ?) est pris de nausées en s'assurant que personne ne voie son instant de faiblesse, le film bascule dans le présent. Le camp est devenu un lieu de mémoire qu'il semble si difficile de rendre propre mais qui signe l'échec (définitif ?) de la politique nazie.
Film terrifiant par sa partie sonore qui accompagne ces deux plans noirs qui introduisent et terminent le film. Comme ce dahlia rouge sang, nourri avec les cendres qui se transforme en un plan rouge à mi-chemin. Eprouvant. Il m'a fallu plusieurs minutes à la fin pour redescendre sur terre …
En bref, c'est un film puissant.
Il fallait que je voie ce film et, maintenant que je l'ai vu, je sais déjà qu'il me faudra le revoir.