Quand à la sobriété d'une mise en scène répondent un scénario et une construction narrative qui donnent une puissance au film telle que son impact émotionnel vous habite encore plusieurs jours après sa découverte.

Film espagnol ayant bénéficié de peu de publicité, il n'en est pas moins un exemple de maîtrise formelle et de précision dont je conseille le visionnage s'il est programmé près de chez vous.


Dans la continuité des mouvements salutaires et nécessaires qui essaiment à la suite du hashtag #metoo, qui a eu la vertu de libérer la paroles des femmes et de révéler au monde à quel point les affaires de harcèlements sexuels revêtent en plus d'une odieuse récurrence une espèce de normalisation détestable. De l'omerta à l'impunité jusque là consentie aux auteurs de ces infractions, de la remise en cause de la parole des victimes à cet élan puant qui vise à discréditer les comportements des femmes qui auraient conduit leurs agresseurs à faire ce qu'on leur reproche. Le mouvement n'en finit pas de révéler la bassesse de l'homme, sa prédation et démontre au grand dam de quelques réactionnaires l'enracinement profond de ces comportements dans une lecture patriarcale de domination qui résiste mais vit ses dernières heures.


Nevenka est nommée comme conseillère à la municipalité d'une commune d'Espagne sur l'insistance de son tout puissant maire, Ismael. D'abord retranscrite comme une aubaine professionnelle la relation entre l'édile et sa subordonnée va vite basculer vers un autre chose bien plus compliqué.

Le maire n'est pas juste un élu, il est véritablement la personnalité la plus influente de la région, il se comporte presque comme un parrain, les conseils municipaux où doivent être votés les décisions ne sont que des formalités et l'opposition n'a aucun poids. Il contrôle tout, les marchés publics, le budget, distribue cadeaux et privilèges comme il assène à ceux qui lui résistent mises au ban ou restrictions de droits.

Il n'hésite pas à corrompre et joue tant de sa popularité auprès d'une population qui lui est acquise que de ses relations politiques pour parvenir à ses fins. Une scène assez courte et qui passe presque inaperçue illustre sa main mise sur la ville. Alors qu'il vient de nommer Nevenka, lui et ses plus proches collaborateurs au rang desquels désormais figure cette jeune femme, décident de se rendre dans un bar de la ville où il a des intérêts économiques, dehors deux jeunes distribuent des tickets de promotions pour un établissement concurrent, une pratique banale de l'autre côté des Pyrénées et qui habituellement n'est pas empêchée. On voit alors le maire en arrière plan dire quelque chose aux vigiles et immédiatement, contre champ de la caméra et on aperçoit au dehors les vigiles désormais armés de battes de baseball repousser les jeunes occupés jusque là à faire la promotion de l'autre bar. Cette courte scène vient dire de façon indiscutable au spectateur qu'ici le maître c'est lui, qu'il usera de méthodes issues du banditisme pour faire valoir ses positions, et que rien ni personne ne se mettra sur son chemin.


Il régit sa ville, ses habitants, son budget, sa politique littéralement comme un Don, un seigneur puissant, un potentat indéboulonnable qui sait s'appuyer selon les circonstances sur le rappel des services rendus ou une persuasion par l'intimidation.


Précipitée dans ce milieu qu'elle découvre de l'intérieur, Nevenka fraichement diplômée suit les directives de son "patron", qu'elles soient d'ordre professionnelles, mais aussi du domaine du privé. Séducteur et manipulateur il parvient à nouer une relation charnelle avec la jeune femme, une relation qui si elle est consentie, bien qu'on puisse questionner le dit consentement à l'aune de la façon dont cet homme use de sa position dominante pour y parvenir. Une relation d'abord consentie donc mais qui très vite va plonger Nevenka dans un désarroi et une gène qui vont la conduire à vouloir y mettre un terme.


Cette décision légitime pourtant, sera lourde de conséquences pour elle et marquera les débuts d'une spirale infernale où rien ne lui sera épargné. Pour lui cette rupture est inacceptable et il va faire de la vie de sa subordonnée un enfer. Chantage affectif qui alterne avec remise en cause systématique de ses aptitudes comme conseillère. Harcèlement par téléphone, organiser auprès des autres conseillers la dégradation de son image et sa réputation comme professionnelle. Menaces à peine voilées sur les conséquences sur sa famille si elle refuse ses avances. Mises en situations délicates par ruses qui vont aller jusqu'au viol à un instant d'extrême fragilité de sa victime. Le film qui encore une fois n'est pas une démonstration de mise en scène, dont la sobriété nous oblige à voir la détresse de Nevenka et l'ignominie du personnage de ce maire, ne nous épargne rien.


Lorsqu'enfin aidée par quelques personnes elle trouve la force de dénoncer les faits en vue d'un éventuel procès, le film expose une ultime réalité qui me parait incompréhensible, mais qui existe bel et bien, c'est la remise en cause de la parole des victimes. Elle a du le provoquer. Elle est une intrigante qui veut salir la réputation d'un homme qui a tant fait pour sa ville. Son consentement initial prouve qu'elle affabule. Elle doit cacher des problèmes de dépendances ou des issues psychiatriques. Si elle dit vrai, alors pourquoi n'a t'elle pas davantage de témoins en sa faveur ? Et Cætera, Et Cætera.


Le procès aura bien lieu et je vous laisse découvrir ce qu'il adviendra, sachez juste que le film est inspiré de faits réels, que la victime a du quitter l'Espagne quand son bourreau lui siège toujours au conseil de sa ville.


Eduquez vos garçons ! Un non, c'est un non et il peut être prononcé même après un oui !


Cela fait maintenant quatre jours depuis que j'ai vu ce film et il continue de grandir en moi, de me perturber tant il est d'une puissance évocatrice sidérante, tant malgré je le crois une réception plutôt alerte et sensibilisée de ma part à ces questions de sexisme qui infusent notre société, on n'est jamais totalement conscient en tant qu'homme de la réalité qui prévaut sur ces affaires qu'il faut dénoncer. Car au final c'est de cela que traite le film, briser le silence, dénoncer publiquement, que les victimes en parlent pour sortir de l'isolement et de la détresse psychologique où les plongent ces abus.


J'entends déjà les retours sur un film féministe et donc castrateur. Foutaises ! C'est un film humaniste, qui ne cherche pas à être condescendant, ni à généraliser les comportements des hommes mais juste à témoigner d'un problème majeur dont on commence à percevoir l'ampleur et dont on commence à peine à explorer l'étendu.

Spectateur-Lambda
9

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le 10 nov. 2024

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