Le cinéma nous poursuit toutes et tous depuis longtemps. Passionnés ou non, nous avons un rapport certain avec le septième art, les émotions qu’il génère, ses figures, ses emblèmes. Il contribue à bâtir notre imaginaire, nous inspire dans la réalité, nous guide. Mais qu’en serait-il si la barrière était franchie ? Si nous pouvions entrer dans ce grand écran blanc devant lequel nous nous asseyons pour vivre diverses aventures ? C’est là que nous mène Last Action Hero.
Un héros de films d’action et un ticket magique. Voilà ce qui va bouleverser la vie de Danny, un garçon solitaire et indépendant, fan invétéré de « Jack Slater », héros sans peur ni reproches qui castagne des méchants à la pelle dans des films riches en testostérone. Le héros parfait pour ce gamin en manque de père et en quête de repères, n’ayant pour seul refuge que cette salle de cinéma, et pour seule compagnie celle du vieux gérant, et, de manière plus virtuelle, celle de Jack Slater, la brute sympathique au grand cœur. Quel petit garçon de la fin du XXe siècle, moi compris, n’a jamais été au moins impressionné par les Terminator, Rocky, ou encore Rambo, par la stature des Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger ou encore Jean-Claude Van Damme ? Ces héros des années 80, pleins de charisme, dans la parfaite logique d’une décennie à part, celle des synthés et des basses puissantes, et celle des films d’action à foison, allant souvent vers un certain excès, mais que l’on ressasse avec une certaine nostalgie aujourd’hui. Et c’est d’eux, ces héros de films d’action, ainsi que de l’esprit des années 80, que parle ici John McTiernan dans Last Action Hero.
Le cinéaste construit et déconstruit le héros des années 80, montrant toute la sympathie que l’on garde pour lui, mais aussi que le monde est désormais passé à autre chose. Jack Slater est une caricature, avec ses suites s’accumulant à l’infini, allant toujours plus loin dans l’improbable, armé jusqu’aux dents, dézinguant les méchants et s’allumant un cigare. Et si John McTiernan invoque ce cliché vivant, c’est pour mieux le mettre à nu et le mettre face à la réalité, dans une démarche similaire à d’autres de ses films, comme Predator. La caricature n’est pas ici faite pour se moquer de ces bons vieux films d’action, du moins pas méchamment. Le cinéaste fait appel à une forme de nostalgie, celle d’une époque empreinte d’insouciance, où le cinéma faisait rêver, où il était un plaisir auquel on s’adonnait sans compter. Last Action Hero est une déclaration d’amour au cinéma. Il fait du film une oeuvre vivante et non un objet amorphe, il raconte notre rapport au cinéma, ce qu’il est et ce que certains veulent en faire. En effet, la rencontre entre Danny et Jack va certes être source de nombreux quiproquos et de situations incroyables, mais elle est surtout très révélatrice quant à notre propre approche du cinéma, et très touchante.
Un film n’est pas quelque chose que l’on subit, ce n’est pas un afflux d’images qui nous est asséné et que nous restons regarder de manière statique, bien installés dans notre fauteuil ou notre canapé. C’est une oeuvre vivante, qui a mis du temps à se construire, qui a évolué lors de sa production et, surtout, qui appelle l’implication du spectateur. En faisant rentrer Danny dans le film, John McTiernan crée une représentation directe de ce processus, qui consiste à faire du spectateur un véritable acteur du film, de créer son propre film à l’intérieur du film, de le faire contribuer à son évolution. La relation entre le film et le spectateur ne doit pas être unilatérale. Il faut que le dernier fasse un pas en avant, autant que le film appelle le spectateur à le faire. Il doit provoquer en lui des émotions, le faire réagir, réfléchir, le stimuler, et non pas devenir un produit de consommation jetable que le spectateur délaissera quelques heures après comme on jette un vieux mouchoir.
C’est aussi dans sa capacité à étudier la frontière entre l’imaginaire et la réalité que Last Action Hero se distingue. De l’autre côté de l’écran, tout est possible, on peut tout faire, mais tout répond aussi à certains codes définis qui doivent être suivis. La police débarque au bout de dix secondes, le grand méchant habite une villa luxueuse… Voir un film, c’est faire appel à son imaginaire tout en s’installant parfois dans une certaine forme de confort. Mais dans le cas de Danny, et on peut facilement s’identifier à lui, le cinéma est un exutoire, un lieu de rêves et d’espoir, où rien ne peut nous atteindre, une bulle dans laquelle on se réfugie et où l’on s’isole d’une réalité qui nous déplaît souvent, pour l’oublier le temps d’une séance. Et cela n’empêche pas l’imaginaire d’avoir une emprise sur la réalité, et vice-versa. Comme Jack demande, à un moment, à Danny : « Tu crois en moi dans les films, pourquoi pas ici ? » Il y a, une nouvelle fois, une volonté de John McTiernan de montrer l’impact que le cinéma peut avoir sur nos vies, qu’il peut nous permettre de nous abriter mais, surtout, de nous construire.
Il y a tant d’éléments à relever dans Last Action Hero. Cela méritera largement un second visionnage pour approcher de plus près certains points de détail, notamment concernant l’image de « show-business » qui déplaît à McTiernan, et les interdépendances entre réalité et imaginaire. C’est un film bourré de références, hautement divertissant, devenu culte grâce à ses nombreuses répliques mémorables, au charisme de Schwarzenegger, ici dans un rôle très intéressant, et pour ses nombreuses scènes d’action spectaculaires. Mais c’est surtout un très beau film sur le cinéma, le racontant avec amour et passion, avec un côté nostalgique qui le rend très touchant. C’est une véritable mine d’or en la matière, où le spectateur est amené à réfléchir sur sa propre vision du cinéma, son rapport au septième art, et sa capacité à se construire avec lui.