Le film s'est arrêté. Les pieds franchissent la porte de sortie. Lentement, on fait son retour sur terre. Seulement l'esprit est encore accroché à Last Night in Soho. Ce n'est pas nouveau d'avoir du mal à lâcher un Edgar Wright. Le réalisateur s'est toujours assuré d'offrir moults expériences revigorantes à son public. Scott Pilgrim abolissait les frontières stylistiques entre cinéma, bande dessinée et musique pour délivrer une lettre d'amour à la culture geek. Baby Driver visait la fusion parfaite entre les images et la bande-sonore pour vous coller au fond de votre fauteuil pendant 120 minutes. Par bien des aspects, ce nouvel opus est une suite logique. Mais aussi une cassure.
La musique joue un rôle fondamental chez Wright. Plus qu'un outil, c'est elle qui donne le tempo sur laquelle se plaque l'intrigue. Pas pour rien que l'univers de Scott Pilgrim basculait lors d'un concert. Quant à Baby, c'est bien simple, il n'était plus le Driver d'exception ni rien du tout sans sa playlist sur les oreilles. Dans Last Night in Soho, Ellie (l'héroïne) se sent plus en phase avec les standards des années 60 que ceux de son temps. Comme bon nombre d'entre nous, en somme. Les mélodies sont des points de départs auxquels se greffent des récits légendaires puis l'imaginaire prend le relais. À partir de là, deux passés cohabitent : le réel et l'idéalisé. Comme la plupart des personnages de Wright, Ellie est une outsider hantée par le manque, une marginale dont la santé mentale ne tient qu'à quelques notes. Aussi quand elle se retrouve projetée dans les sixties qu'elle chérit, on est en droit de se poser des questions. La suite ne va pas nous donner tort.
Plus encore que par le passé, le metteur en scène joue sur les perceptions qu'il va amener à faire évoluer. La première heure est un déferlement de séquences proprement renversantes, d'une vélocité remarquable alliée à une précision d'orfèvre. Comme Ellie (excellente Thomasin McKenzie), on sort de nous-mêmes, on swingue, on lévite au milieu d'un festival de mouvements et de couleurs. Retour vers le passé ? Oui et non. Le film avance, l'effervescence créative aussi, sauf que le trip nostalgique devient motif d'inquiétude.
Edgar Wright n'est pas là pour glorifier les fantasmes associés à une ère révolue, plutôt pour en discuter la soi-disant grandeur. Le puzzle se remet en place, l'image qu'on en retire fait froid dans le dos. On frayera dans les recoins les plus désagréables au bras de spectres monstrueux tirés à quatre épingles. Last Night in Soho se transforme alors en train fantôme qui erre au milieu d'espoirs noyés dans le sang. Si le message n'était pas assez clair à l'issue de cette première moitié, le flamboyant grand final enfonce le clou.
La fête battait son plein ? La gueule de bois sera sévère.
Entre-deux, le long-métrage retombe quelque peu. La construction devient répétitive et pour peu qu'on soit attentif aux petits détails, on désamorcera plusieurs rebondissements bien avant que l'intrigue se décide à les dénouer. Dans l'intervalle, plusieurs éléments sont laissés sur place (la mère, l'investigation). C'est embêtant car tout cela aurait pu prêter le flanc à une attitude plus suspicieuse quant au fin mot de l'histoire. Il y a bien une résolution qui survient mais aussi touchante soit-elle, son épilogue un brin facile vient tempérer la réussite. Mais juste un peu, car Wright nous en donne largement pour notre argent, nos yeux et nos oreilles.