C'est l'histoire d'un être qui, le jour de son trentième anniversaire, prend le courage d'exploser tout un monde.
Laurence, enseignant de littérature à l'université, mélancolique explosif, aime Fred, avec qui il vit une relation passionnelle, animée par la défiance des codes et des convenances.
Ils s'aiment, donc. Mais un beau jour, Laurence lui déclare tout son malheur d'être homme, de ne pas être ce qu'il est au plus profond de son intimité. La question de l'identité - thème à la mode s'il en est - devient ici le prétexte d'une problématique classique (au cinéma comme dans la littérature) : comment s'aimer après une brisure pareille ? D'autant qu'ici, la difficulté à dépasser est une limite au désir. Comment donner ce que l'on n'a pas à la personne que l'on aime ?
Alors, Dolan use et juxtapose divers éléments. D'un côté, le baroque, le kitsch (devenu lieu commun chez Dolan), le travail de l'esthétique Queer (et on pense à divers travaux qui ont suivi Butler, que ce soit en littérature comme au cinéma), aidés par une puissance musicale complète (on va de Moderat à Visage en passant par Beethoven et The Cure). De l'autre, un classicisme presque déconcertant. Tout cela mixé, on se retrouve, tantôt dans un clip euphorique, tantôt dans une scène de ménage traditionnelle, tantôt dans une énorme métaphore colorée et poétique.
Le sujet du film est assez prévisible, et on peut, légitimement, être effrayé à l'idée de devoir assister à plus de deux heures trente de mélo-mégalo. Finalement, ce n'est même plus vraiment un drame auquel on assiste, même si les moments de bonheur sont nombreux : le malaise (pour ne pas dire le trouble) est constamment présent, du début à la fin, et le reste du temps, tout vire au tragique. Les choses se répètent, et c'est à un ressassement permanent que l'on assiste. C'est aussi cela qui jette le trouble chez le spectateur : vont-ils parvenir à s'aimer tels qu'ils sont réellement ? Finalement, dix longues années passent, les rebondissements sont nombreux, l'émotion bien présente, mais la passion agonise bien, et le destin de leur amour est clairement fantômatique.
Outre la beauté des images, la puissance de l'émotion partagée et ressentie, c'est le jeu des acteurs qui nous donne la claque. Melvil Poupaud (Laurence) est surprenant, quoique "normal" : son jeu (le plus ambitieux de sa carrière) n'atteint pas le point que l'on aurait pu souhaiter : par son jeu, toujours minimaliste, toute en retenue, il ne nous apparaît pas suffisamment troublé. C'est Suzanne Clément (Fred) qui, à mes yeux, fait jaillir toute l'émotion du film au visage du spectateur (ce qui prouve, en partie, que le véritable sujet du film est l'amour impossible, et non l'altérité sexuelle). Même en bourgeoise étriquée, elle sublime l'écran. La scène du bal est remarquable : une concentration d'émotions, une force dramatique certaine, tout cela dans une esthétique (musicale, chorégraphique, vestimentaire, d'images) parfaite. Elle donne toute la force au film de Dolan. Les rôles secondaires sont également remarquables : Nathalie Baye (la mère de Laurence) joue parfaitement le rôle de la mère détruite par toutes sortes de choses (son mariage, la relation avec son fils, l'aveu de Laurence), et Monia Chokri (la soeur de Fred) est à la fois drôle et puissante dans le rôle de la lesbienne ingrate qui aurait préféré que sa soeur ne lui dispute pas tant que cela le monopole de la différence au sein de sa famille.
Dans cette longue fresque, les rondes, les ressassements, comme les émotions, s'enchaînent d'une façon assez remarquable, mais on en fini toujours au même point : la solitude frappe. Elle n'est pas triste, la solitude : certes difficile à vivre, elle devient presque salutaire pour Laurence, que l'on découvre métamorphosée à la fin du film.
Une leçon, qui apparaît au début du film, revient à nos mémoires, à bien des moments, certes, mais pendant le générique final. Les mots que Laurence envoie au monde, à tous ceux qui le regardent : "Plutôt qu’interroger la raison d’être et les droits des marginaux, je questionne la raison d’être et les droits des personnes normales." C'est le postulat du film, la raison d'être de Laurence, mais surtout la "morale" de l'histoire (même si l'utilisation du terme n'est guère adapté à ce genre de sujet), que l'on fini par se ressasser souvent, bien longtemps même après avoir vu le film de Dolan. Troublons le monde et inversons les interrogations.
Ce que l'on peut aisément reprocher à Xavier Dolan, c'est la naïveté apparente avec laquelle il traite le "prétexte" du film, à savoir l'identité de genre et l'altérité sexuelle. Romantique à sa façon, Dolan reste souvent en surface, jouant avec les clichés sans s'en rendre compte. La maturité viendra, et peut-être évoluera-t-il dans sa façon de filmer ce genre de sentiments. Reste plus que la poésie, explosion, sincérité même d'un jeune garçon de 23 ans, talentueux à n'en pas douter, mégalo avec clarté, marqué par le trouble de notre époque et les révolutions sous-tendues qui se trament dans notre société.
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