Bienvenue à bord du U-96, cher correspondant de guerre!
J'espère que vous avez bien profité des jeunes françaises et de cette folle soirée à La Rochelle (au fait, ne vous inquiétez pas pour le capitaine-lieutenant Thomsen, il a bien cuvé, il a l'habitude). Et j'espère aussi que vous n'avez pas le mal de mer, et que vous n'avez pas d'idée bien arrêtées sur ce qu'est vraiment la gloire. Vous pouvez m'appeler "Kaleun" (Kapitän-Leutnant), mais ici ils me surnomment tous "le Vieux" (der Alte), je n'ai que 30 ans, mais j'en ai vu bien plus qu'eux faut dire... Et ne soyez pas choqué par le langage très... cru et imagé de tous ces jeunots sous mon commandement, il leur arrive de s'ennuyer tellement sans toutes les bonnes choses du plancher des vaches que c'est pour eux un bon moyen de ne pas trop déprimer ou de ne pas devenir fous (et ça ne marche plus trop au bout d'un moment à vrai dire...).
Je vous présente mon équipage : je commence par le lieutenant et ingénieur en chef, mon meilleur élément, il sait à peu près tout faire à bord, mais ne lui parlez pas de bombardements, ça lui fait penser à sa chère petite femme à Cologne et ça le rend nerveux
L'imberbe dans son bel uniforme c'est le premier lieutenant, il revient du Mexique, encarté au parti et tout le bataclan, sans doute tout frais diplômé d'une Napola (maintenant vous savez sans doute bien ce que je pense de ces guignols de Berlin qui nous donnent des ordres sans réfléchir, ignorent la réalité et font les marioles à la radio), si nous en revenons vivants il aura de grandes chances de faire carrière en haut lieu celui-là, il croit toujours en la victoire mais il semble avoir un peu perdu en naïveté ces temps-ci.
Le roux souriant et blagueur là c'est Schwalle, le deuxième lieutenant, un très bon élément aussi, un de nos meilleurs remèdes contre la déprime, il s'y connaît bien en codage Enigma... et aussi en cocktails.
Lui c'est Lamprecht, l'officier torpilleur, si vous aimez le football ne lui dites surtout pas que vous soutenez une autre équipe que le FC Schalke (comme la moitié de l'équipage en fait), et ne lui parlez pas de leurs défaites non plus, il vous tuerai.
Le grand maigre au regard halluciné c'est Johann, il est bizarre dans son genre, il préfère l'air empli de mazout et la chaleur étouffante de la salle des moteurs à l'air frais, mais c'est le meilleur machiniste au monde, il bichonne le moteur comme personne!
Et enfin, voici Hinrich, l'ingénieur des communications et acoustique, il entend tout ce qui passe sur et sous l'eau à des centaines de mètres à la ronde, et ses disques 78 tours de Zarah Leander, de Rosita Serrano et de swing berlinois nous ont empêché de devenir cinglés, ça nous change agréablement du Rundfunk. J'ai pris la peine d'y inclure des chansons que j'affectionne, une française, "Parlez-Moi D'Amour", et une irlandaise, "It's a Long Way to Tipperary", vous m'en direz des nouvelles.
Voici votre couchette, c'est un peu à l'étroit oui, et il y a tout le temps du passage, il n'y a qu'un seul couloir. Il n'y a aussi qu'un seul toilette, et nous sommes 50. Je ne vous conseille pas de vous raser pour économiser l'eau potable, et dites adieu à vos bonnes vieilles douches pour quelques mois. Ah, j'oubliais, j'espère que vous avez pensé à écrire et laisser votre testament, c'est hélas ce qu'il y a de plus avisé à faire avant de partir. De plus en plus de nos camarades n'en reviennent pas de ces sorties en mer, comme Prien en mars... Les convois ennemis sont de mieux en mieux défendus, et ces Scheisse de destroyers se perfectionnent, vous verrez ce que ça fait d'entendre leurs hélices vrombir au-dessus de votre tête et larguer leurs satanées charges de profondeur, et ils nous repèrent de mieux en mieux avec ces saloperies de nouveaux sonars, on les entend même ici, c'est comme la mort qui vous siffle votre funeste destin à travers la coque! Sans oublier bien sûr les quelques coucous qui pourront nous mitrailler impunément en surface, notre canon externe est pratiquement décoratif.
Vous constaterez vite que la chasse est plus excitante à l'approche des convois qu'au moment du torpillage, mieux vaut ne pas s'attarder en surface dans ces moments-là, c'est pas beau à voir... Vous verrez, le U-Boot c'est le meilleur navire au monde! Oubliez 20000 lieues sous les mers, une aventure comme ça c'est autrement plus digne d'un roman, ou d'un film tiens! (j'ai pu voir "U-Boote westwärts!" au cinéma il y a trois-quatre mois, et c'est vraiment du chiqué, pour rester poli... j'espère qu'on trouvera mieux à l'avenir) Fendre les vagues, mettre la tête dehors, respirer l'air de l'Atlantique et se prendre le vent et des giclées en pleine figure pendant des tempêtes qui durent des semaines, ça ça vaut la peine d'être vécu! En revenir c'est une victoire en soi...
Bon, êtes-vous tous prêts à appareiller? Lancez les machines!