Haters gonna hate !
Aristote, 1515
La première chose qui frappe lorsque l'on regarde The BFG, c'est ... le début ! Alors, cette phrase est au premier abord aussi pertinente que la fameuse "c'est au pied du mur ... que l'on voit le mieux le mur", chère notamment à Jean Marie Bigard, éminent poète de la fin du 20ème siècle !
L'ouverture d'un film de Spielberg est toujours (à moins, sans doute, d'être concerné par la citation encadrée précédemment) un évènement, un moment de cinéma à part dans une année de cinéphile dédiée à découvrir les diverses nouvelles cuvées des nos artistes préférés. Il faut dire que le cinéaste est passé maître dans l'art de cueillir son audience et de la propulser au coeur de sa diégèse. Nombreuses sont les introductions de ses films passées à la postérité, des Dents de la mer aux Indiana Jones en passant par Il faut sauver le soldat Ryan, les exemples sont légion. Il s'agit parfois d'un prologue d'exception (l'ouverture de La Guerre des Mondes, petit chef d'oeuvre de mise en place), d'une séquence d'anthologie (Le Soldat Ryan), d'un quasi court métrage dans le film à la manière des James Bond (Indiana Jones), d'un générique haut en couleurs (Arrête-moi si tu peux et Tintin), etc.
Stupeur, et première déception, l'ouverture du Spielberg nouveau est plutôt banale et ne fait en aucun cas preuve d'un moment de bravoure formel. Le souvenir récent des premières minutes magistrales du Pont des espions, tout en silence et en mouvement, forme un contraste inattendu avec ce BFG. On est quelque peu surpris. Pas de quoi non plus s'inquiéter mais c'est tout de même une petite déception.
Ensuite pour ce qui est de ma perception personnelle du film, je trouve que la première partie traine un peu en longueur. Rien qu'en terme de décors, cette première partie fait preuve de très peu de variations : l'essentiel de l'action se déroule dans la ruelle ou la chambre de l'orphelinat, la plaine des géants et surtout on abuse, à mon goût, de la cabane du BFG. Je n'ai d'habitude rien contre l'économie de décors (j'apprécie d'ailleurs un bon huit-clos), mais là j'ai vraiment trouvé qu'on exploitait pas assez les possibilités de l'univers proposé. Je mets néanmoins un bémol car je n'ai pas lu le livre de Roal Dahl et peut-être est-ce une caractéristique du livre. Auquel cas rien n'empêchait Spielberg de s'écarter un peu de celui-ci malgré tout. La seconde partie, plus rythmée et jouant habilement du burlesque des situations sans jamais tomber dans le délire total m'a beaucoup plus enthousiasmé. La résolution de l'intrigue me semble malgré tout un poil expédiée mais c'est peut-être également le cas dans le roman, ce qui rapprocherait cette impression du souvenir laissé par la fin de La Guerre des mondes pour laquelle Spielberg aura été également tributaire du dénouement de Wells.
Esthétiquement j'ai apprécié, dans les séquences nocturnes, le retour du spectre bleuté, souvent transpercé par un faisceau de lumière, habituelle toile de fond du fantastique chez le Spielberg de la fin des seventies et des eighties, contrastant avec la non moins travaillée saturation de couleur blanche envahissant le cadre, procédé très caractéristique de son directeur de la photographie Janusz Kaminski et ici peu présent.
Toujours au niveau de l'impression que laisse la photographie dans le film, elle me parait satisfaisante (pas laide comme j'ai pu le lire sur certains avis) mais pas non plus exceptionnelle surtout lorsqu'on repense au souvenir éblouissant que peut laisser le travail de Kaminski dans la dernière séquence de Cheval de Guerre pour prendre un exemple là-encore très récent et tourné vers le choix de l'esthétique sublime, choix qui aurait pu payer pour ce conte fantastique.
Pour un film de Spielberg, c'est quand même plutôt décevant.
Pour les quelques moments de bravoure du film maintenant.
Tout d'abord j'ai trouvé l'osmose générale entre l'immersion procurée par la 3D et la spatialisation du son tout à fait exceptionnelle. Mention spéciale au passage dans lequel Sophie, plongée et ballottée dans une sorte de baluchon, se retrouve transportée jusque dans la cabane de son futur ami. La maitrise experte de Spielberg pour morceler le montage et dissimuler aux yeux du spectateur le contenu qu'il recherche n'est plus à prouver - revoir l'ouverture (avec le vélociraptor dans sa cage) ou l'arrivée du T-Rex dans Jurassic Park pour s'en convaincre. Dans cette séquence, ce savoir-faire est habilement servi par l'ambiance sonore : alors que Sophie - et le spectateur placé en position d'acteur par le biais d'une vue intérieure - ne peut percevoir que des bribes de la cabane du géant - l'espace qui l'entoure - les sons provenant des objets de la cabane, du géant ou d'autres sources inhérentes à ce lieu viennent tout autant nourrir que brouiller la perception spatiale que l'on peut avoir de l'endroit dans une bourrasque audiovisuelle du meilleur effet.
Par ailleurs, puisque l'on parlait de l'immersion, il faut également reconnaitre à Spielberg l'aisance (au minimum) qui est la sienne pour s'emparer des nouvelles technologies et en tirer le meilleur. Il avait déjà fait preuve avec Tintin d'inventivité dans le domaine de l'utilisation de la 3D et le BFG n'est pas une déception de ce point de vue. C'est l'un des rares films actuels que je conseillerais de voir plutôt en 3D qu'en 2D. Autant du point de vue de l'action (comme notamment décrit précédemment) que de la profondeur de champ ou des effets gadgets, le film est une réussite. A part chez les movie brats et leurs rejetons (Cameron, Zemeckis par exemple), les bonnes utilisations de cette technologie dans des films live me paraissent très rares. S'il réitère la chose, Spielberg se posera ainsi comme l'un des spécialistes du genre.
Dans les points positifs, un certain nombre de séquences font à nouveau preuve de finesse et de la maestria technique caractéristique de son auteur - quoiqu'à moindre mesure que pour Tintin, pour comparer ce qui est comparable. Je ne vais pas m'amuser à toutes les citer mais on peut en relever quelques unes : les inventions du géant pour se cacher à l'oeil de l'humain, l'habileté à gérer le mélange des tons (fantastique, burlesque, féérique) et quelques procédés de mise en scène rendus possibles par la numérique qui semblent devenir une marque de fabrique chez son auteur - je pense notamment aux fondus numériques très imagés qu'il emploie de nombreuses fois dans Tintin mais aussi dans un film live comme Cheval de Guerre (la broderie de la mère devient le champ labouré) et ici l'oeil rouge du principal antagoniste qui laisse place au plan d'une colline que domine Sophie et le BFG éclairé par un coucher de soleil rougeoyant, métaphorisant ceux-ci comme la cible du géant mangeur d'homme.
La palme du bon goût étant attribuée une nouvelle fois à la symbiose musique-image qui traverse de manière générale l'ensemble du film et qui trouve, à mon avis, son paroxysme dans la séquence de création du rêve de la reine au sein de laquelle un John Williams inspiré octroie un thème caractéristique de chaque élément du breuvage (Sophie, le BFG, les soldats, les géants, etc.) dans un tourbillon musical d'exception. Le BFG est aussi l'occasion d'une nouvelle fois rendre compte de l'habileté de Spielberg à mettre en valeur et utiliser avec maestria la musique de John Williams, ce à quoi se heurte certains réalisateurs comme J.J. Abrams dont l'étouffement par les effets sonores fait cruellement défaut à la musique de son Star Wars ou Brian Percival avec sa Voleuse de livres pour lequel la puissance et l'intériorité de la partition du compositeur octogénaire écrase une mise en scène trop prudente.
Mention spéciale également à la séquence des "prouts" à Buckhingam Palace. Je savais que le film contenait ce gag avant d'aller le voir et je le redoutais franchement. La première utilisation (dans la cabane du géant) m'a d'ailleurs un peu hérissé le poil. Mais toute la construction de la séquence du déjeuner à Buckingham Palace est absolument irrésistible. L'aisance du cinéaste à étirer un gag burlesque sur une dizaine de minutes jusqu'à l'explosion (littérale) est formidable. On sait ou ça va mener, mais c'est irrésistible. Toute la salle a ri de bon coeur, moi le premier. Good job Steven !
On peut également apprécier la profusion de couleurs utilisée dans le film contrastant avec le reste de la production américaine actuelle dans une époque ou la teinte grisâtre semble être de rigueur. Néanmoins je dois avouer que l'aspect quelque peu "synthétique" de ces couleurs ne m'ont pas complètement convaincu. Essai à moitié transformé donc.
Réussite en demi-mesure des effets spéciaux également. Pour ce qui est des visages et de la matérialisation du géant, c'est vraiment du très bon travail mais il est vrai que certaines incrustations en décors réels ou dessinés font un peu tache. Notamment, pour revenir dessus, dans la séquence décrite précédemment lorsque Sophie est emmenée dans la cabane du géant : la profondeur de champ entre l'intérieur du baluchon et l'espace extérieur est parfois mis à mal par une incrustation laissant à désirer et provoquant un effet un peu daté (par exemple celui que l'on a aujourd'hui quand on se retrouve dans le vieux Star Tour de Disneyland Paris). Je dois avouer que cela ne m'a pas trop gêné, même si paradoxalement cela saute aux yeux, mais ça rend légèrement imparfaite une séquence par ailleurs brillante de maitrise.
Mais ce n'est pas là que le bât blesse. Je disais en début de critique qu'avec certains passages photographiques, Spielberg semblait vouloir renouer avec un style passé. Avec le BFG, il semble même avoir voulu renouer avec l'aventure et la tendresse de ses productions des années 1980 dont la société Amblin fut l'architecte et le symbole. L'envie d'écrire sur ce film m'est surtout venu à force d'entendre ou de lire que Spielberg était "le cinéaste de l'enfance", renouait avec un film "sur l'enfance", que le BFG était dans la continuité d'E.T. (commentaire souvent fait au regard de l'écriture du scénario par Melissa Mathison), etc.
Dire qu'il est "le cinéaste de l'enfance", à bien des égards, cela peut s'entendre. C'est en partie vrai. Mais le BFG n'est pas un film sur l'enfance.
Les films de Spielberg dont on peut dire qu'il traite de l'enfance comme sujet principal ou majeur sont : E.T. l'extra-terrestre, Empire du soleil, Hook ou la revanche du capitaine Crochet, A.I. Intelligence artificielle. L'ensemble de ces films forment à mon sens une auto-thérapie effectuée par Spielberg sur sa nostalgie maladive de l'enfance. C'est un cycle dont le début logique prend ses sources avec le personnage de Barry dans Rencontres du troisième type, s'exprime à son paroxysme dans E.T. et se conclut avec recul, réflexion, froideur et cruauté dans A.I. A ce tire on peut lui attribuer non pas le titre de "cinéaste de l'enfance" mais plutôt celui de "cinéaste de la nostalgie de l'enfance".
Une autre caractéristique de ces films est que ce ne sont pas des films faits pour les enfants, ou seulement en partie. Il va de soi qu'Empire du soleil et A.I. ne sont pas particulièrement adaptés à l'oeil enfantin (voire pas du tout), mais ce constat est moins évident lorsque l'on parle de E.T. et Hook. Je ne vais pas développer trop en détail mes théories sur le cinéma de Spielberg mais je pense que la force de ces deux films est de pouvoir proposer une oeuvre qui est justement accessible par les enfants comme les adultes et dont la lecture sera différente selon l'âge auquel on le voit. A mon avis, Spielberg n'a pas fait E.T. pour les enfants. E.T. vise avant tout les adultes qui, comme Spielberg, sont nostalgiques de leur enfance. Et cette volonté explique pourquoi le film a touché un public aussi large lors de sa sortie (l'effet du film sur les adultes est notamment assez bien retranscrit par Jean-Jacques Moscowitz dans son ouvrage Lettre d'un psychologue à Steven Spielberg - ouvrage par ailleurs original mais inégal sur la filmographie du cinéaste). Je ne détaillerais pas plus les différents niveaux de lecture formidablement complexes qui peuvent s'analyser dans ce film de 1982.
Au final le film qui contredit le plus ce que j'avance dans ceux que j'ai cité est Hook. Hook est le théâtre d'un esprit infantile et de séquences sûrement indigestes au goût de nombreux adultes. Néanmoins je vois dans ce film l'idée de mettre en abîme l'idéologie de Neverland : ce qui plait aux enfants ne plait plus aux adultes. Quoi de plus naturel donc que de proposer des séquences cinématographiques qui vous ont sans doute plu étant enfant mais qui vous semblent mauvaises aujourd'hui - le passage du festin à base de pâte à modeler me parait le plus indiqué pour tenter de démontrer cette proposition pour ma part constatée chez de nombreux amis. Hook est sans doute avec E.T. le film le plus exemplaire des névroses de son auteur et la séquence où Peter se remémore son enfance me parait être l'une des plus puissantes de son auteur. Je vois Hook comme un film fait autant pour les enfants que pour les adultes.
Et nous en venons ainsi à ce qui constitue, pour moi, le problème essentiel du BFG. A travers les interviews, on sent que le cinéaste a justement cherché à retrouver l'esprit des films cités précédemment ainsi que celui des productions Amblin des eighties. Il avoue volontiers avoir voulu faire ce film car il avait adoré lire le livre à chacun de ses sept enfants. Ainsi il conterait l'histoire écrite par Dahl à tous les enfants du monde. Bon... pas tous puisque personne ne va voir son film. Mais vous voyez l'idée... En l'état... le public visé est bien celui des enfants pour le coup. Le BFG est bien un film fait pour les enfants et, à moins d'avoir une âme d'enfant très développée à l'âge adulte, quasi exclusivement fait pour les enfants. En cela, c'est une première pour Steven Spielberg.
D'autant plus que le film n'est en rien un film sur l'enfance. Finalement, le cinéaste ne s'intéresse que peu au point de vue de l'enfant. A vrai dire, les moments ou ils place la caméra à hauteur d'enfant (l'une de ses plus belles réussites avec E.T.) ne semblent être ici provoqués que pour établir un très beau contraste avec le point de vue du ou des géants. L'équilibre ou le déséquilibre entre ces points de vues et ces échelles de plans est par ailleurs la plus belle réussite du film en terme de mise en scène, évoquant au passage certains plans du King Kong de 1933, film essentiel pour la culture et la carrière du cinéaste.
Le personnage de Sophie n'intéresse pas vraiment Spielberg. Dans ce film, l'enfant et l'enfance ne sont pas ce qui motive Spielberg. On peut en prendre pour preuve le désintérêt manifeste de l'histoire de l'enfant dévoré par les autres géants et de la partie plus sombre du livre, qui n'est que suggérée par le cinéaste (et par Disney ?). C'est peut-être d'ailleurs un des regrets que l'on peut nourrir pour le film qui aurait gagné en richesse à voir une partie plus traumatisante tempérer la légèreté du ton. En vérité, le personnage qui intéresse Spielberg, c'est le bon gros géant. C'est à travers le personnage incarné par Mark Rylance que Spielberg exprime sa vérité. Non seulement ce n'est pas un film sur l'enfance mais on peut même dire que c'est un film sur le déclin de vie. Le bon gros géant est un géant vieillissant qui aime se retrouver confronté à la jeunesse, s'occuper d'enfants à l'image d'un aïeul veillant sur son petit-fils ou sa petite-fille. A l'image de Spielberg racontant une histoire à ses propres enfants. Un personnage ayant besoin d'un retour aux sources permanent devant l'inéluctabilité de ce qui l'attend à la fin de la seconde partie de sa vie. Spielberg reconnaissait même récemment, dans une interview accordé à Canal +, avoir été inspiré avant tout par ce personnage du BFG, confessant d'une certaine manière son crime même si la rébellion du "microbe" de 7 mètres du film peut se lire comme le palliatif à des souvenirs d'enfance traumatiques (le rejet de nombre de ses camarades d'école). Spielberg exorcise certains de ses démons mais ne porte pas l'essentiel du sujet sur des problématiques nostalgiques pour autant.
C'est la raison pour laquelle Spielberg réussit avec Rylance ce qu'il échoue avec la très jeune Ruby Barnhill : émouvoir. Qu'un Spielberg n'émeuve pas autant qu'E.T. ou La Liste de Schindler n'est pas un problème selon le sujet. Mais en l'occurence, on sent bien qu'il s'y essaie avec ce BFG et je dois avouer avoir été plutôt imperméable à l'émotion à partir du moment ou le film laissait la place principale à sa jeune actrice (non pas que celle-ci soit mauvaise par ailleurs). Le côté appuyé de certaines scènes fait même penser qu'il s'est forcé. Le véritable regard de l'artiste sur la vie se fera donc à travers l'être imaginé par Roal Dahl.
Je trouve ainsi le film relativement inégal mais je dois avouer ne pas porter de manière générale un grand amour aux univers et histoires de Roal Dahl. Ce Spielberg ne m'a donc ni véritablement déçu, ni véritablement enthousiasmé. Je suppose que ceux qui haïssent le cinéaste trouveront en ce film l'exutoire le plus parfait pour leur haine acerbe. Le film semble en effet, si j'en crois ceux qui ont lu le livre, aseptiser la vision ambivalente d'un univers mi féérique mi cauchemardesque.
Les spectateurs neutres y trouveront leur bonheur uniquement si ils cherchent un film pour enfant sympathique ou un film hollywoodien contemporain avec quelques très bonnes idées de mise en scène. Dans le fond, ce n'est pas comme si c'était fréquent de nos jours ...
Les amoureux du cinéaste apprécieront sans doute l'oeuvre tout en regrettant que le metteur en scène ne se concentre pas sur un matériel plus à la hauteur de son talent. J'avais déjà eu ce sentiment en voyant le Passion de Brian De Palma. Une impeccable démonstration de maitrise technique au service d'un ... téléfilm. Car le film est un remake d'un téléfilm. Et sans manquer de respect au genre du téléfilm, on aimerait de De Palma qu'il utilise son savoir-faire sur des sujets et matériaux majeurs. Il en va de même pour notre cher Steven.
Pour la notation, j'ai hésité et hésite toujours entre 6 et 7.